Prière de la Révolution
- Détails
- Catégorie : Poesie
- Publié le dimanche 30 août 2015 16:35
Prière de la Révolution
I
Pardon Seigneur
J’ai enterré ma Grâce
Sous la palanque
De nos épreuves
J’ai blasphémé
Contre l’Éden
Des aliénés
Car j’ai juré
D’assassiner la trahison
Qui a transpercé
L’Innocence
Aux yeux d’émeraude
Pendant la nuit
De la grande fête foraine
En ce temps-lÃ
Xaragua
Paré de perles et de diamants
Trépassa dans son sang
Après qu’il eût baisé l’anneau
De l’«hilotisme»
Dès ma naissance
Je voulais être Méliès
Pour immortaliser
La reine de la comète jaune
Sur un grand nuage
De lumière bleue
Accroché aux ailes
De ma colère
Je suis parti un jour
À la recherche des trublions
Qui ont inventé
Le mot « négrier »
Pour humilier
Et torturer l’Afrique
Ô Père des Putes
Et des Justes
À toi
Je me confesse
II
Paysans de mon pays
Qui êtes Chassés
De vos terres
Et qui agonisez
Dans la cale
Des aubes hivernales
Qui murent les égouts
De la « civilisation vantarde »
Chante pour vous
Mon âme éplorée
Pour vous
Qui juchez
Aux quatre points cardinaux
Du lever au coucher
Du soleil
La sueur de votre pénitence
Sur les cabriolets
De servage
Des « Princes » charognards
De la Pègre
Et surtout pour vous
Camarades
Qui traînez votre opprobre
Sur le sable blanc
De «Si jolies petites plages (1)»
J’ai inventé
Ces phrases intrépides
Qui défient la cruauté
De Bonaparte
III
Écoliers de mon pays
Qui à votre cou
Portez les amulettes
D’un savoir aberrant
Prie pour vous
Mon cœur
D’océan houleux
Pour vous qui parcourez
Matin et soir
Les chemins empierrés
Des plaines
Et des montagnes
Pour finalement vous perdre
Dans les fougères
Des onomatopées confuses
Pour vous
Dis-je
Qui malgré tout
Irez croupir
Comme de vulgaires « purotins »
Derrière les barbelés
De Krome
S’élèvent humblement
Mes prières vespérales
Dans la fumée grisâtre
De l’injuste purgatoire
Étudiants de mon pays
Qui dormez
Le ventre aplati
Sur les oreillers
De la flétrissure
Comme le Prophète
Sur le Mont Sinaï
Je vous apporte
Sur un plateau de vers libres
Les sifflets du grand vacarme
IV
Prostituées de mon pays
Qui languissez
Sur les trottoirs
De nos villes impassibles
Parlent pour vous
Mes vers oppressés
Pour vous
Qui chaque matin
Pétrissez la pâte
Pour le pain des enfants
Avec un rouleau de « péché »
Puisse le « Maître »
Absoudre votre « crime »
De vouloir
« Exister » et « Vivre »
Et vous ouvre
L’écluse du « Royaume »
Des Martyrs
V
Habitants de mon pays
Je vous dédie ces vers
Assoiffés de Liberté
Je les ai écrits aussi
Pour vous camarades
Qui soupirez quelque part
Sur le banc rustique
De l’exil
Et Qui mourrez
Peut-être
Sans replonger
Vos mains meurtries
De nostalgie
Et de remords
Dans la terre affectueuse
Qui a supporté
Vos premiers pas
Je les dédie
À vous qui
Entre « mourir » et « fuir »
Fîtes le choix
Qui humilie
VI
Ô peuples de la terre
Qui saluez des aurores
Toujours incertains
Voici ces vers révoltés
Qui trimbalent
L’appauvrissement d’un peuple
Exclus et Ignoré
Humblement
Je vous les offre
Dans la nudité
De leur profonde déception
Ils se présentent à genoux
Le sexe violé
Tourné
Vers l’ « Étoile » assassine
Du « Septentrion »
Demain
Ces mots tissés
Avec des filets de sang
Se remettront debout
Et deviendront
À vos côtés
Le Michel-Ange
De la nouvelle «Chapelle »
Des pauvres
Une Å“uvre majestueuse
Qui sera dessinée
Et construite
Pour la Renaissance
De l’Humanité
VII
Camarades
J’ai juré de harceler
Jusqu’au tombeau
Les gypaètes
Qui ont déposé
Les lots de deuil
Devant les portes bancales
De nos gîtes agenouillées
Sur la poitrine glabre
De Jean-Rabel
Et dans le désert du Sahel
Sur les méandres
De mon Rêve
Je sème des consonnes aguerries
Et des voyelles pugnaces
Avec lesquelles
Les mains de l’histoire
Rédigeront mon épitaphe
Ci-gît
Le poète des larmes
Et de la résistance
VIII
Raciste
Noiriste
Camarades
Ni l’un ni l’autre
Mes vers pleurent le Blanc
Qui roupille
Dans les caves crasseuses
Des métropoles occidentales
L’Indien qui expire
Dans les grottes infectes
Et les réserves humides
De l’Amérique du Nord
L’Arabe qui se noie
Au large de Lampedusa
Mon pays qui se saoule
De tribulation
Et se gave de mépris
Chaque souffrance
Déchire mon âme
De toutes les misères
Mes yeux sont cernés
Je porte sur mon front
Le tatouage
De tous les châtiments
Infligés aux genres humains
La faim n’est
Ni noire
Ni blanche
Ni rouge
Ni jaune
Mon rêve
Comme celui
Du martyr de Memphis
Achever l’œuvre sacrée
De mes pères et mères
Rebâtir l’Édifice
De 1804
Pour sauver les damnés
Et ramener les brebis égarées
Dont la peau porte encore
Les entailles brûlantes
Des baïonnettes bleutées
Et qui sont excommuniés
Frappés d’ostracisme
Depuis les temps affreux
Du « père charlatan »
Et du « fils débauché »
Inonde ma rivière
De peine
La terre entière
De l’aube
À l’angélus
Du crépuscule
À l’aurore
Je mange les mêmes Mots
Et je souffre des mêmes Maux
Depuis que le ventre
De ma mère
M’a exposé au soleil
De l’Injustice
Je déjeune
Affliction
Et je dîne
Persécution
Pour le souper
Je me réserve
La Langue
Et les Mains
De nos Bourreaux
Robert Lodimus
_______________________________
Référence
1.- Jean-Claude Charles, De si jolies petites plages, 1982, 244 pages; enquête sur les boat-people haïtiens emprisonnés à Krome, en Floride. L’auteur haïtien, journaliste essayiste, poète, critique d’art… est décédé en 2008 en France.
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