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«Haïti, pays émergent en 2030» : une première phase ratée

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Nous avons déjà clarifié la notion «Haïti, pays émergent en 2030» (1) telle que le conçoit le régime Martelly. Il s'agit de faire passer le revenu national brut (RNB) per capita d'environ 995 à 2 310 dollars américains, moins d'un tiers du niveau actuel de la République dominicaine. Ce serait un réel progrès qui exigerait des efforts considérables en termes de planification du développement national. Le Plan stratégique de développement d'Haïti (PSDH), cadre conceptuel de ce rêve de « pays émergent en 2030», trace la voie à suivre si l'on compte emprunter la voie du développement économique durant les deux prochaines décennies.

Sur le plan macroéconomique, il faudrait réaliser un taux moyen de croissance de 6.2 % sur la période 2012-2015 échelonné comme suit: de 7.8 % en 2012, 6.9 % en 2013, 6.2 % 2014 et 6 % en 2015. Ces taux de croissance, élevés par rapport à l'évolution récente du PIB, nécessiteront, d'un côté, un effort important d'investissements publics financés par des ressources locales ainsi que par l'aide extérieure et, d'un autre, des investissements directs étrangers qui, en plus de propulser les investissements privés, amélioreront aussi le solde global de la balance des paiements, lit-on dans le PSDH. Du côté de l'offre, la croissance devait être portée par le secteur agricole (+5 %), la construction (+ 11 %), l'industrie manufacturière (+12 %) et les services (+6 %).

On a complètement raté la cible en 2012 puisque le taux de croissance réalisé n'a été que de 2.9 %. On l'a encore ratée en 2013 avec une réalisation de 4.3 % et les prévisions pour 2014 se chiffrent à 3.6 %. Ainsi, pour atteindre l'objectif de 6.2 % sur la période 2012-2015, il faudra réaliser un taux de croissance de 13.6 % en 2015. Complètement impossible ! Si l'on regarde la performance économique des deux dernières années et la prévision pour 2014, on ne peut espérer mieux que 4 % pour 2015 si les élections ne viennent pas tout chambarder. Ce qui fera une moyenne de 3.8 % pour la période 2012-2015 au lieu des 6.2 % prévue dans le PSDH.

Selon le PSDH, plusieurs considérations devaient guider la conduite de la politique macroéconomique entre 2012 et 2015. Parmi celles-ci, l'on retrouve principalement, en plus des acquis de la stabilisation, l'option en faveur de la construction d'une nouvelle économie, le choix d'une trajectoire de croissance accélérée, la consolidation et la construction des « moteurs » de croissance, la mise en place des bases de la compétitivité, la recherche d'une croissance équilibrée et le renforcement de la gouvernance économique.

La stratégie économique envisagée devait faciliter l'émergence d'une économie forte, diversifiée, dynamique, compétitive, ouverte, inclusive et à large base territoriale. Deux grandes options étaient envisagées pour marquer la trajectoire de l'économie : une croissance forte et une attractivité accrue de l'économie dans un contexte de rééquilibrage sur un triple volet social, environnemental et spatial.

Sur cette trajectoire, nous disent les auteurs du PSDH, la période 2012-2015 constitue une phase charnière au cours de laquelle les bases institutionnelles et stratégiques devant garantir la mise en route de l'économie sur des bases viables et durables devraient être posées. C'est donc une période cruciale où les politiques à mener vont conditionner l'ancrage de la vision à moyen et à long terme. L'action devait être orientée résolument à libérer le potentiel économique du pays en relaxant les contraintes auxquelles elle est assujettie et en réduisant les inefficacités qui infirment son plein essor. Une façon de dire que l'ère Martelly conditionnera le développement économique du pays pour les prochaines décennies. Or, sur l'ensemble des points mentionnés, très peu de progrès ont été réalisés jusqu'ici.

Concrètement, le PSDH attendait du régime Martelly qu'il :
1) recherche systématiquement des gains rapides dans le cadre de toutes les lignes de politiques publiques, afin de maximiser sur le court terme les bénéfices pour la population ;
2) consolide et construise les moteurs de la croissance ; 3) supprime les goulets d'étranglement qui entravent la libre concurrence et freinent l'initiative privée et, par conséquent, la croissance ;
4) mette en place un cadre de gouvernance économique approprié.

Pour garantir la viabilité de la stratégie macroéconomique, dans un contexte déjà fortement marqué par l'urgence, le PSDH retient plusieurs facteurs de risque qui doivent être pris en compte: la détresse sociale, la dégradation environnementale et les aléas climatiques. Par conséquent, les choix de politiques devront conjuguer, de manière articulée et intelligente, la gestion des sources de vulnérabilité et l'objectif de croissance durable à moyen et à long terme.

Le processus de croissance est envisagé en deux phases. Les opportunités à court terme dans les secteurs de la construction (bâtiment et travaux publics) et l'agriculture devaient être mises à profit pendant que des réformes structurantes préparent une seconde phase de croissance accélérée où la spécialisation dans des filières porteuses du secteur textile, de l'agriculture et de l'agro-industrie, du tourisme et des services, et aussi de la construction permettra des gains d'efficacité importants soutenus par un tissu dense de petites et moyennes entreprises (PME) en expansion.

Une augmentation accrue de la pression fiscale ?

Les bases de la croissance sur le long terme reposent non seulement sur le développement du marché intérieur, mais aussi sur la capacité de capter et maintenir des parts de plus en plus importantes de la demande externe. Pour cela, le PSDH envisage la mise en valeur des avantages comparatifs d'Haïti, notamment dans le secteur agricole. Une amélioration de l'efficacité devra aussi être recherchée par la maîtrise des coûts et l'offre de facilités.

Cela devra se faire notamment par l'exécution de programmes d'infrastructures visant à réduire les coûts de transaction dans les domaines de l'électrification, du transport routier, des communications, des technologies de l'information, des ports, aéroports et des facilités de stockage; la mise en œuvre de plans de gestion et d'aménagement de l'espace national; la mise en place de zones économiques intégrées et de parcs industriels; la promotion des opportunités d'investissement et de l'image du pays à l'extérieur, notamment en mettant en place une diplomatie d'affaires pour attirer les investissements directs étrangers, mais également de la diaspora ; la production accélérée de capital humain; la réduction des coûts de transaction liés aux services administratifs et un meilleur fonctionnement des marchés par des dispositifs légaux et réglementaires encourageant la concurrence.

La tendance sur les cinq années précédant le séisme est celle d'une croissance faible, erratique, estimée à 2 % en moyenne annuelle. Une tendance que le PSDH juge trop faible, insuffisante pour réduire la progression de la pauvreté et la vulnérabilité humaines qui prennent des dimensions de plus en plus inquiétantes, surtout après le tremblement de terre où des milliers de personnes ont dû se retrancher dans des camps et abris provisoires.

La vitesse de récupération de l'activité suite au séisme a été aussi plus lente que prévu. La vision 2030 estime nécessaire de casser cette dynamique en menant une politique volontariste et pragmatique pour permettre à l'économie de croître durablement à des taux élevés proches de 10 %. Ce qui ne serait possible que si les politiques et réformes appropriées sont mises en œuvre de manière résolue et coordonnée pour stimuler l'investissement et libérer les énergies créatrices. Au cours de la période 2012-2015, on devait réaliser un taux moyen de croissance annuel supérieur à 6 %. Le 2.9 % de croissance réalisé en 2012 et le 4.3 % réalisé en 2013 prouvent que la tendance de croissance rachitique persiste encore ; ce qui montre également que les réformes structurelles à réaliser piétinent encore.

Pour garantir un pilotage économique efficace, le PSDH insiste sur le renforcement des structures d'études et de programmation des ministères et sur celui des mécanismes de coordination et de suivi intersectoriels des politiques devant garantir une mise en œuvre accélérée et la cohérence entre les politiques macroéconomiques et sectorielles.

Pour la période 2012-2015, le gouvernement devait poursuivre ses efforts pour renforcer la collecte des recettes fiscales et porter la pression fiscale à la fin de cette période à au moins 14 %. Il compte également rationaliser l'octroi des exemptions fiscales pour s'assurer que les dépenses fiscales correspondent effectivement aux exemptions justifiées par les lois en vigueur.

L'augmentation de la pression fiscale proviendrait aussi d'une modification du régime de taxation et de nouvelles taxes, dont celles sur les télécommunications et sur les transferts privés, qui apporteraient des ressources additionnelles. De plus, la taxe sur le chiffre d'affaires (TCA) devrait être transformée en une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les accises sur l'alcool et le tabac seront relevées, selon les prévisions du PSDH.

À regarder les taux de croissance économique en 2012 et en 2013 et les prévisions pour 2014, on se rend compte que la première période de la vision « Haïti, pays émergent en 2030» est complètement ratée. Certains diraient qu'elle était tout simplement illusoire. On comprend pourquoi les dirigeants répètent de moins en moins ce slogan.

(1) : Quelle émergence pour Haïti en 2030 ? 4 mars 2013 : www.lenouvelliste.com/article4.php?newsid=114055

Thomas Lalime
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Source: Le Nouvelliste

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