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Economie

URGENCES HAITIENNES : des idées pour la croissance par Alin Louis Hall

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INTRODUCTION

Par Alin Louis Hall --- Selon la SFI, les besoins de financement en Haïti sont estimés à plus de 2,5 milliards de dollars. Les experts de ce membre du groupe de la Banque Mondiale estiment que la moitié des petites et moyennes entreprises haïtiennes ont des besoins de financement qui ne sont pas satisfaits par les institutions financières. (1)

A l’initiative de la Banque de la République d’Haïti, du 9 au 10 juin 2014, se sont réunies les plus hautes autorités monétaires du pays dans le cadre d’une conférence pour réfléchir sur la meilleure façon d’amorcer la relance du crédit au profit de la production nationale. Pendant ces deux jours, économistes, banquiers, experts nationaux et internationaux ont posé le problème de l’approfondissement financier. Pour célébrer son trente-cinquième anniversaire, le régulateur du système bancaire a choisi un pareil qui témoigne d’une volonté à saisir le taureau par les cornes. Le moins qu’on puisse dire est que l’initiative est plus que louable en elle-même. Une intuition semble indiquer que la BRH reconnait qu’elle doit sortir de son cadre de référence traditionnel. Au-delà de la politique monétaire et de la gestion des devises, la Banque des Banques serait-elle en train de s’investir davantage dans l’incubation d’une nouvelle dynamique dans l’économie haïtienne ? En ce sens, la création du bureau d’information sur le crédit (BIC) par la BRH parle éloquemment du rôle et de la direction que les membres du Conseil d’Administration veulent donner à cette institution.

Alors, comment créer la croissance ?

Comment apporter aux entreprises des moyens financiers pour qu’elles puissent se développer ? Dans quelle mesure le développement financier stimulerait-t-il un développement économiquement durable et, in extenso, la croissance?

INTERMEDIATION FINANCIERE ET DEVELOPPEMENT FINANCIER

ministere-economie-finance touthaitiLes premières analyses sur le lien finance-croissance privilégient le canal traditionnel de l’intermédiation financière. Dans un système financier dominé par les banques, il est important de mesurer leur apport à la croissance économique en tant qu’intermédiaires financiers. D’où les indicateurs suivants pour mesurer le niveau de développement de l’activité de l’intermédiation financière.

1) les actifs liquides du système financier en proportion du PIB sont un indicateur de profondeur financière et une mesure de la taille du secteur financier formel d'intermédiation financière au sens large par rapport à la taille de l'économie;

2) le ratio des crédits domestiques fournis par le secteur bancaire par rapport au PIB indique le rôle du secteur bancaire formel dans l’économie ;

3) et le crédit accordé au secteur privé par les banques commerciales et les autres institutions financières rapporté au PIB. Cet indicateur mesure l’efficacité de l'activité des intermédiaires financiers sous l'aspect de l'une de leurs fonctions principales : mobilisation de l'épargne vers les entrepreneurs. Cet indicateur, en excluant le crédit accordé au secteur public, présente d’une manière plus précise le rôle des banques dans la canalisation de l’épargne vers les investissements rentables. Ce dernier aspect rapproche les banques le plus du niveau de l'efficience, de la productivité du capital et, in extenso, de la croissance économique.

En récapitulation, le ratio de liquidité tient compte des moyens de paiements disponibles dans l'économie. Pour jauger la profondeur de l’intermédiation financière et son efficacité, c’est-à-dire le rôle des banques dans le financement des activités économiques, le ratio de l’agrégat monétaire M3 au PIB, le ratio crédits domestiques fournis par le secteur bancaire par rapport au PIB et le ratio crédit accordé au secteur privé sur le PIB sont retenus et utilisés comme indicateurs du développement financier.

Dans un contexte où les banques commerciales assurent la totalité des financements, la mesure de l’indice du développement financier (IDF) est pertinente puisque cet indice traduit l’efficacité de la gestion de la liquidité bancaire, surtout en matière d’appréciation du risque de défaut. Soulignons toutefois que ces indicateurs présentent la faiblesse de ne pas prendre en compte le circuit informel pourtant très développé en Haïti. Néanmoins, il convient de reconnaitre leur importance pour mesurer la profondeur financière et l'activité des intermédiaires financiers en Haïti. Une proportion importante de crédit privé dans le PIB indique une activité intense des banques. Dans les pays où la finance directe est inexistante, le crédit au secteur privé est un meilleur indicateur de développement financier.

Parlant du système bancaire haïtien dans le cadre de cette conférence, les propos du gouverneur de la BRH doivent nous interpeller. Selon Charles Castel, « le système bancaire ne prête pas assez, quel que soit l'angle sous lequel on le compare à d’autres pays. Le crédit au secteur privé représente seulement 19% du PIB contre 31% pour les pays à faibles revenus et 48% pour les pays de l'Amérique latine et de la Caraïbe. Seulement 43 % des dépôts collectés par les banques sont convertis en prêts, alors que, dans la région de la Caraïbe, 65 % des dépôts bancaires, en moyenne, sont utilisés pour le crédit au secteur privé ». (2)

Déjà, au début de l’année, l’économiste Kesner Pharel tirait la sonnette d’alarme. « Ce n’est pas normal pour un pays de la trempe d’Haïti de réaliser un PIB chiffré à 8 milliards de dollars américains seulement. Pourtant, le pays a une population évaluée à 10 millions d’habitants, dont 4 millions constituent la force active. Donc, une grande potentialité. Pourtant, la République dominicaine, qui compte aussi près de 10 millions d'habitants et une population active de 4 millions également, réalise un PIB de 60 milliards de dollars américains », se révolte l’économiste Kesner Pharel, qui a aussi présenté des chiffres relatifs à la Jamaïque, à titre de comparaison, qui réalise un PIB de 15 milliards de dollars américains alors que sa population active est nettement inférieure par rapport à celle d'Haïti». (3)  

Dans ce même ordre d’idées, les déclarations de Fritz Duroseau, membre du conseil et principal organisateur de cette conférence, méritent toute notre attention. Très critique du modèle de crédit appliqué par les institutions financières haïtiennes, Fritz Duroseau persiste et signe. « Le modèle de crédit que le pays est en train d’appliquer depuis des années ne donne pas de résultat. Cette conférence doit nous permettre de voir comment le secteur financier haïtien, sans mettre à risque les dépôts faits dans les banques d’ici et de l’étranger, puisse prêter de l’argent à des projets productifs, capables de réduire notre dépendance ». Même analyse pour le gouverneur Castel qui touche la plaie du doigt. « Comme 60% de ce crédit est dirigé vers le commerce, la consommation et l'importation, il a contribué à aggraver notre déficit commercial et notre dépendance des flux de la diaspora et des aides officielles » (4), selon les propos recueillis par le journaliste Louis-Joseph Olivier.

 VERS UN INDICE COMPOSITE DU DEVELOPPEMENT FINANCIER EN HAITI

tableau 1 alinall credit secteur prive csp

         (1)     BRH : http://www.brh.net/pibsecteur.pdf
(2)    
BRH : http://www.brh.net/m3annuel.pdf

tableau 2 evolution idf tableau 3 alinall comparaison 2014 sur 32 pays


   tableau 4 alinall classement 2014                                                                                                                                                                                              
Une simple analyse des deux premiers tableaux indique que le manque de corrélation entre l’augmentation des indices I (CSP/PIB), I (M3/PIB) et I (CSP/M3) en glissement annuel par rapport à un PIB stagnant entérine les conclusions du gouverneur de la BRH. Le crédit au secteur privé va exclusivement à l’importation et alimente le déficit commercial. Une référence non voilée à l’économie de rente dénoncée, il n’y a pas trop longtemps, par Fritz Jean, ancien gouverneur de la même institution.

A titre de rappel, le ratio (M3/PIB) mesure le niveau de la profondeur financière tandis que le ratio (CSP/PIB) mesure la quantité de crédit engagé dans le secteur privé, par rapport à la taille de l’économie. A ces deux éléments, on pourrait ajouter les variables « Actifs Bancaires Â» et « Banque Â». La première indique l'importance des actifs des banques et institutions privées par rapport aux actifs bancaires totaux. Complémentaire au précèdent, l'indicateur Banque, sensible à la taille et à l'étendue des services bancaires auprès des entreprises et des ménages, représente la somme des actifs des banques de dépôt par rapport au PIB.

Pour mesurer l’efficience de l’allocation des ressources, il faut un indice composite pour quantifier l’approfondissement financier. Aux indicateurs traditionnels mesurant le crédit privé et la profondeur financière, on pourrait ajouter à partir du rapport annuel (www.doingbusiness.org) le classement d’Haïti sur la qualité de l’information disponible, le cadre réglementaire et le système juridique. Autant d’éléments incontournables qui reflètent le niveau de confiance entre les agents, le respect des contrats et de la propriété. La publication régulière de cet indice devra permettre une classification objective du système bancaire haïtien par rapport à sa région.

MARCHES DE CAPITAUX

Dès le début du 2e millénaire(5), les marchés de capitaux tiraient la croissance économique et généraient des milliers d’emplois. En 1250, à Toulouse, naissait La Société des moulins de Bazacle, première société à échanger les actions. Cependant, la bourse d'Amsterdam est considérée comme la bourse la plus ancienne du monde. En effet, établie il y a quatre siècles, la négociation des actions y débuta grâce à la fameuse Compagnie des Indes orientales, fondée en 1602. Cette compagnie était à la recherche permanente de fonds pour financer le négoce de marchandises avec l'Extrême-Orient. Fondée le 8 mars 1817, la bourse de New-York (NYSE) (6), communément appelée « Wall Street » est la plus grande des bourses mondiales.

Plus récemment, les marchés de capitaux, efficaces dans la collecte et la redistribution des ressources monétaires, ont été balayés par une vague de libéralisation financière. Dans les pays émergents, le développement fulgurant des systèmes financiers en général et des marchés de capitaux en particulier a entrainé un « basculement » vers les économies « market-oriented », en l’occurrence la finance directe. Cependant, au tournant du troisième millénaire, des obstacles à l'accès aux capitaux pour de nombreuses petites sociétés émergentes entrainèrent un ralentissement significatif voire un déclin des introductions en bourses. Plus particulièrement aux États-Unis, cette situation ne fut sans conséquence sur la santé de l'économie américaine.

RAISON D’ETRE DE LA BOURSE

La finance « intermédiée Â» (la banque) joue un rôle majeur dans la croissance économique des pays ou la finance directe (les marchés de capitaux) est embryonnaire. En revanche, dans les économies émergentes et matures où existent des marchés de capitaux développés, la finance directe est prépondérante dans le financement de la croissance.

Soulignons les fonctions principales des marchés de capitaux:

(1) La mobilisation du capital pour une meilleure adéquation aux projets d’investissement ; (2) la production et diffusion d’informations sur les agents économiques pour assurer la pertinence des informations et orienter les décisions des prêteurs d’allouer leurs épargnes aux projets les plus productifs, stimulant ainsi la croissance; (3) la maîtrise et le partage du risque en facilitant l’échange en offrant des produits variés et en finançant un portefeuille de projets à maturité et à rendement variables; (4) le suivi des investissements de façon à ce que le capital soit alloué de façon optimale aux investissements les plus rentables; (5) le contrôle sur les entreprises et leurs dirigeants en mettant en œuvre des règles de bonne gouvernance. L’efficience du marché et sa capacité à refléter les informations privées et publiques dans le cours des titres relie la rémunération des dirigeants à leur performance, et par conséquent aligne l’intérêt des dirigeants sur ceux des actionnaires; (6) la réduction des coûts des transactions ; et (7) la liquidité des placements financiers en garantissant l’accès au capital à travers les émissions de titres et en permettant aux épargnants d’acheter et de vendre rapidement.

Dans ce même ordre d’idées, lorsque l'introduction correspond à un placement d'actions nouvelles, elle transforme la relation de l'entreprise avec son banquier qui se traduit concrètement par une baisse du coût du crédit après introduction. Une partie de cette baisse est directement attribuable à l'assainissement de la structure financière due à l'apport d'argent frais. Elle est tout aussi liée au simple « effet d'introduction en Bourse ». La cotation rassure le banquier qui devient moins exigeant. L'introduction permet surtout d'acquérir une meilleure position de négociation, en faisant jouer la concurrence entre les banques. Sur ce dernier point, pour dissiper toute éventuelle appréhension, il convient de rappeler que, dans les économies ou la finance directe existe, les banques sont encore les acteurs de premier plan. En offrant un éventail de services et produits financiers, elles font beaucoup plus de profits qu’avec les produits bancaires traditionnels.

Dans un autre registre, l'introduction en Bourse est l'occasion d'une mutation dans le système de « corporate governance » de l'entreprise. Elle implique au minimum une transparence des comptes de l'entreprise, et plus largement un effort de communication financière dirigé vers des investisseurs externes, actuels ou potentiels. Elle conduit aussi à la mise en place de systèmes modernes de contrôle interne et à une professionnalisation des instances d'administration et de surveillance. Ces mutations sont parfois vécues, à court terme, plus comme un coût que comme un avantage de l'introduction. A long terme, elles ne peuvent que conforter la solidité de l'entreprise.

Rappelons que l'introduction en bourse représente un avantage pour les actionnaires désirant se retirer de la société pour d'autres opportunités d'investissement. Parmi les autres raisons pour lesquelles la bourse existe, on peut aisément avancer celui de vendre ce que l'on possède. La bourse ne tire pas de justification d'un principe uniquement économique, mais d'un droit. Ainsi, si quelqu'un possède une part d'une entreprise, il a le droit de la céder à quelqu'un contre une somme d'argent. La recherche du profit est une autre raison pouvant amener un agent économique à intervenir sur les marchés.

DEMOCRATISATION DE L’ACCES A LA FORMATION DU CAPITAL

Il est indéniable que les marchés de capitaux, à travers les innovations financières, ont énormément accru la capacité à drainer l’épargne, à faire circuler des capitaux dans le monde entier, à stimuler l’esprit d’entreprise, à disséminer les risques et à faciliter les contrats financiers. Les différents indicateurs de marchés financiers, positivement corrélés avec l’activité économique, en témoignent. Aussi, pour contrer le refroidissement du marché des entrées en bourse et pour remédier au déficit d’attractivité, certains pays sont rentrés dans une dynamique de démocratisation de l’accès à la formation du capital.

Alternative Investment Market (AIM) est le marché international de la Bourse de Londres pour les petites entreprises en croissance. Depuis son lancement en 1995, plus de 3000 entreprises du monde entier ont choisi de rejoindre AIM pour financer leur besoin d'expansion.

Toronto Stock Exchange Venture Market représente un marché du capital de risque public pour les entreprises émergentes. Autrefois connu sous le Canadian Venture Exchange (CDNX).En 2001, le Groupe TSX (Toronto Stock Exchange), maintenant connu sous le nom de Groupe TMX, en fit l’acquisition et le rebaptisa TSX V.

Pour encourager l'investissement et promouvoir l'entreprenariat, l'emploi et le développement économique, une collaboration entre le gouvernement, l’autorité des marchés financiers et la bourse de la Jamaïque (JSE) a abouti le 1er Avril 2009 au lancement d’un marché junior, rattaché au marché principal.

En 2012, le congrès américain adopta le « Jumpstart Our Business Startups Â» (JOBS Act) pour le ralentissement du marché OPA. Le 23 Octobre 2013, la Securities Exchange Commission (SEC) promulgua la régulation sur le financement participatif (crowdfunding), énonçant ainsi les règles régissant l'offre et la vente de titres conformément au titre III de la Loi JOBS ACT.

Qu’il s’agisse du Royaume-Uni, du Canada, de la Jamaïque ou des Etats-Unis, les objectifs poursuivis par ces mesures ou réformes témoignent d’une volonté politique au plus haut niveau décisionnel de créer les conditions pour la croissance. Ces dispositions novatrices pour la réduction des coûts d’introduction en bourse ne visent qu’à éliminer les barrières à l’entrée. Aux Etats-Unis, par exemple, ces dispositions reconnaissent le principe que les contraintes réglementaires doivent être proportionnelles à la taille de l'entreprise, et augmenter à mesure à chaque fois qu’elles dépassent la barre d’un certain niveau de revenus annuels. Ce nouveau régime de conformité à l'échelle vise à réduire le temps et les charges financières pour les entreprises intéressées à être cotées en bourse, et à réduire les risques associés avec le lancement du processus d’introduction en bourse. Sans pour autant compromettre la protection des investisseurs.

Toutefois, le développement financier émerge comme élément déterminant et fondamental de la croissance économique. De ce fait, les analyses ont démontré que les marchés de capitaux stimulent davantage la croissance dans les économies émergentes et matures. La libéralisation financière a entrainé une plus grande liquidité de ces marchés avec une nette augmentation de l’épargne et de l’investissement, et par conséquent une hausse du taux de croissance économique. Les résultats obtenus en Inde, en Thaïlande, en Corée et Malaisie ont prouvé que la finance directe a un effet multiplicateur sur la croissance. Ces pays, dans leur histoire récente ont entrepris une réforme en profondeur de leur système financier. Certains résultats semblent suggérer que les grandes places financières mondiales ont été obligées de s’ajuster face à la montée en puissance d’autres bourses. La réduction des couts d’introductions semble avoir provoqué une ruée vers les bourses asiatiques, notamment. Définitivement, un autre résultat intéressant qui mérite d’être souligné.

Rappelons que les marchés de capitaux, en général, réduisent le coût de la mobilisation de l’épargne et de ce fait facilitent l’investissement dans les secteurs les plus productifs. De plus, l'introduction en bourse représente une option crédible pour les entreprises pour lever des capitaux. Elle peut relancer l'intérêt et la viabilité de modèles d'affaires qui, sans cette possibilité, seraient jugés trop exigeants en infusion de capital. Ainsi, pour favoriser le développement des PMEs – in extenso la croissance, les décideurs politiques et les régulateurs doivent créer un environnement où les start-ups les plus prometteurs d'aujourd'hui peuvent se transformer en leaders de demain. Pour y arriver, il faut démocratiser l’accès à la formation du capital et faire tomber certaines barrières à l’entrée.

CONSIDERATIONS ET JUGEMENTS

Quoique le sens de causalité reste toujours ambigu, le développement financier a tendance à aller de pair avec la croissance économique. Hors, « l’économie haïtienne, souligne Kesner Pharel, est en train de se contracter »(7). Tels sont les propos de l’économiste rapporté par Roberson Alphonse dans un article récemment publié dans Le Nouvelliste. Selon le journaliste, «  l’économiste avance la baisse des trois dernières enveloppes budgétaires : 131 milliards, 126 milliards, 118 milliards. Pour l’exercice 2014-2015, la tendance sera maintenue. Les recettes fiscales internes, 50 milliards de gourdes pour cet exercice, sont insuffisantes, explique Kesner Pharel, qui a noté également que la dette externe d’Haïti touche les 2 milliards de dollars us en moins de dix ans, après son annulation à un montant égal à ce qu’il est aujourd’hui.»(8)

Alors, est-ce l’existence d’un système financier développé qui stimule la croissance ou bien est-ce la croissance qui favorise le développement du secteur financier ? La polémique est ouverte. En ce qui a trait au taux de croissance, il importe de relayer Thomas Lalime. « On a complètement raté la cible en 2012 puisque le taux de croissance réalisé n’a été que de 2.9 %. On l’a encore ratée en 2013 avec une réalisation de 4.3 % et les prévisions pour 2014 se chiffrent à 3.6 %. Ainsi, pour atteindre l’objectif de 6.2 % sur la période 2012-2015, il faudra réaliser un taux de croissance de 13.6 % en 2015. Complètement impossible ! Si l’on regarde la performance économique des deux dernières années et la prévision pour 2014, on ne peut espérer mieux que 4 % pour 2015 si les élections ne viennent pas tout chambarder. Ce qui fera une moyenne de 3.8 % pour la période 2012-2015 au lieu des 6.2 % prévue dans le PSDH. Â» (9)

Parmi les priorités de l’heure, l’augmentation de l‘enveloppe du ministère du tourisme, de 355 millions lors du précédent exercice à   1,613, 311,000.00 gourdes, résiderait surtout dans les investissements, soit 1,452,132,000.00 gourdes représentant en fait moins d’1% du budget. En 2013, le taux de visiteurs s'est accru de près de 18%, ce qui devrait normalement contribuer à la création de richesses dans le pays. Avec les millions investis pour les centaines de chambres d’hôtel construits au cours de ces deux dernières années, rien que dans la grande agglomération urbaine de Port-au-Prince, on n’a pas jusqu’à date dépassé la barre de 1,000 emplois directs dans le secteur hôtelier.

Que l’économique tire le social et que le tourisme soit un vecteur de développement économique ne sont plus à démontrer. Au sens large, le champ d’expertise couvrant le tourisme touche directement les progrès économiques, sociaux et environnementaux. Le tourisme, s’il est un secteur d’activités économiques, n’est pas pour autant un domaine doctoral. La « tourismologie » n’existe pas. La « carnavalogie », encore moins.

Pour accompagner le volet « création d’emplois Â», Haïti doit relancer la production. Cela implique que l’on a besoin de force de travail. Ainsi, on réduira le chômage. L’agriculture et l’agro-industrie, comme pour le tourisme, devraient attirer des investissements importants. Malheureusement, avec le crédit au secteur privé presqu’exclusivement dédié au financement de l’importation, on ne peut espérer des jours meilleurs pour la relance de la production nationale. Si cette situation persiste, on peut même avancer que le PIB, l’indicateur principal de mesure de la production économique, restera anémique pendant encore longtemps. Selon Fritz Duroseau, « le très peu de crédit attribué à ce secteur ne permet pas au pays de concurrencer l’offre considérable de produits de consommation venus de l’étranger. Â»

Pour dire les choses autrement, ce modèle économique ne saurait être abordé que transversalement. Il doit non seulement toucher à l’aménagement du territoire et à l’ingénierie territoriale mais aussi au développement économique, à la formation, à l’emploi, à l’environnement, à la santé, à la culture, aux sports et aux loisirs. C’est donc un sujet transversal où il faudra savoir faire usage de multi-compétences et où les profils d’experts rencontrés seront en double voire en triple compétences. Afin de remédier au choix de la pauvreté, le budget doit refléter une volonté politique au plus haut niveau décisionnel, selon une conception directrice, pour un juste équilibre des actions publiques entre le développement durable et la protection de l’environnement.

CONCLUSION ET RECOMMENDATIONS

Aussi longtemps que la démocratisation à l’accès du capital sera retardée, aussi longtemps la croissance sera entravée. Pour qu’Haïti puisse devenir un marché pionnier (pré-émergent), notre système financier doit offrir un cadre optimal d’intermédiation financière entre les agents économiques. Pour y arriver, il faut reconnaitre la nécessité de doter le pays de nouveaux instruments financiers indispensables à la croissance en favorisant l’incubation de la « finance directe Â» pour accompagner la « finance intermédiée Â». Ainsi, leur cohabitation favorisera l’émergence de nouveaux intermédiaires financiers pour une meilleure diversification du risque et la spécialisation des investissements, facilitant ainsi l’accroissement de la productivité du capital et, par conséquent, la croissance économique. Les entreprises et les ménages pourront se procurer les crédits nécessaires pour se libérer des contraintes financières. Dans cet ordre d’idées, une bourse de valeurs mobilières peut apporter un nouveau souffle à l’entreprenariat haïtien et lancer un signal clair aux investisseurs étrangers dans la mesure où ils auront un meilleur contrôle sur leur stratégie de sortie. Elle peut tout aussi bien servir de levier de financement en permettant de mobiliser les ressources financières de la diaspora. En réseau avec les bourses de la région, elle donnerait accès à des méthodes de financement et des niveaux de capitalisation sans précédent. Enfin, elle enverrait un message positif qu’Haïti est en train de se donner ses propres moyens d’ingénierie financière indispensable à son émergence.

Pour arriver à ce changement de paradigmes, la mise en place d’un cadre de respect des lois et de la propriété constitue la première étape. Ce cadre assurera le bon déroulement des transactions financières en garantissant la protection et la sécurité des acteurs économiques. Le développement financier dépend du cadre juridique, règlementaire et institutionnel institué par le gouvernement. En 2004, soit 200 ans après son indépendance, Haïti était le pays avec le système juridique le moins efficient. (10)

Pour terminer, une bonne mesure de l’efficacité du système financier haïtien doit refléter la façon dont ce système effectue chacune des six principales fonctions : la mobilisation et l’allocation du capital ; la production et diffusion d’information sur les agents économiques; la maitrise et la dissémination du risque ; la liquidité des actifs financiers ; la gouvernance des entreprises ; et la réduction des coûts de transactions.

A Albert Einstein est attribuée la paternité de la définition par excellence de l'aliénation mentale, à savoir que la folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent. Autrement dit, il y a longtemps que nous serions tous morts si le comble de l’absurde pouvait tuer.  

  1. 1.Haïti-économie: l'IFC va soutenir l'accès au crédit pour les petites entreprises, www.hpnhaiti.com, Écrit par HPN, Lundi, 19 Mai 2014 17:23
  2. 2.OLIVIER, Louis-Joseph. La BRH veut relancer le crédit à la production, Le Nouvelliste, publié le 9 juin 2014
  3. 3.JEANTY, Gérard Junior. Taux de croissance 4,3% : combien d’emplois créés? Le Nouvelliste, publié le 15 janvier 2014
  4. 4.OLIVIER, Louis-Joseph. La BRH veut relancer le crédit à la production, Le Nouvelliste, publié le 9 juin 2014
  5. 5.C'est en 1250 à Toulouse, ville du sud de la France, qu'est née la première société dont les actions pouvaient s'échanger, leur prix variant en fonction de la conjoncture économique. La Société des moulins de Bazacle regroupait 60 moulins flottants, dits à « nef », sur la Garonne.
  6. 6.L'accord de Buttonwood - du nom du platane d'Occident ("buttonwood tree" en anglais), situé à l'emplacement de l'actuel numéro 68 de la rue Wall Street, sous lequel traders et spéculateurs se rassemblaient pour commercer - fut signé le 17 mai 1792 par vingt-quatre traders new yorkais, marquant la naissance de la bourse de Wall Street. La société du New York Stock Exchange (NYSE), ou place boursière de New York, fut officiellement créée le 8 mars 1817 en tant que "New York Stock & Exchange Board". En 1863, la compagnie fut rebaptisée du nom « New York Stock Exchange », plus court. La bourse de Philadelphie, établie en 1790, supplanta la bourse de New-York jusqu’en 1837.
  7. 7.ALPHONSE, Roberson. Le champagne restera dans le sceau après les bonnes notes du FMI, Le Nouvelliste, publié le 29 mai 2014
  8. 8.Ibid.
  9. 9.LALIME, Thomas. «Haïti, pays émergent en 2030» : une première phase raté», Le Nouvelliste, publié le 5 mai 2014
  10. 10.www.doingbusiness.org

SFI          :

Société Financière Internationale. Membre du Groupe de la Banque mondiale, SFI est la plus importante institution mondiale d’aide au développement dont les activités concernent exclusivement le secteur privé.

BRH        : Banque de la République d’Haïti

Agrégats Monétaires :                                     

Les composantes de la masse monétaire sont des agrégats. Les agrégats monétaires sont des indicateurs statistiques regroupant dans des ensembles homogènes les moyens de paiement détenus par les agents d'un territoire donné. Il y a plusieurs niveaux d'agrégats statistiques dans la masse monétaire, selon le degré de liquidité. M0 appelée aussi base monétaire ou monnaie centrale représente l'ensemble des engagements monétaires d'une banque centrale. M1 correspond aux billets, pièces et dépôts à vue. M2 correspond à M1 plus les dépôts à termes inférieurs ou égaux à deux ans et les dépôts assortis d'un préavis de remboursement inférieur ou égal à trois mois. M3 correspond à M2 plus les instruments négociables sur le marché monétaire émis par les institutions financières monétaires (IFM), et qui représentent des avoirs dont le degré de liquidité est élevé avec peu de risque de perte de capital en cas de liquidation (ex : certificat de dépôt, créance inférieure ou égale à deux ans). M4 correspond à M3 plus les Bons du Trésor, les billets de trésorerie et les bons à moyen terme émis par les sociétés non financières.

PIB          :

Le Produit Intérieur Brut (PIB) est l’indicateur économique principal de mesure de la production économique réalisée à l’intérieur d'un pays donné. Le PIB vise à quantifier — pour un pays et une année donnés — la valeur totale de la « production de richesse » effectuée par les agents économiques résidents à l’intérieur de ce territoire (ménages, entreprises, administrations publiques). Il reflète donc l’activité économique interne d’un pays et la variation du PIB d’une période à l'autre mesure son taux de croissance économique. Le PIB par habitant mesure le niveau de vie et, de façon approximative, celui du pouvoir d'achat car n’est pas prise en compte de façon dynamique l’incidence de l’évolution du niveau général des prix. Il diffère du Produit National Brut (PNB) qui additionne au PIB (produit intérieur brut) les rentrées nettes de revenus de facteurs en provenance de l’étranger.

IDF           : Indice de développement financier                     

OPA        : Offre Publique d’Achat

JSE         : Jamaica Stock Exchange

PME        : Petite et Moyenne Entreprise                             

PSDH      : Plan Stratégique de Développement d’Haïti.