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Haiti: La république des cigales

cigale fourmi - 2Par Alin Louis Hall ---Cette fable de La Fontaine résume la situation du gouvernement Martelly qui n’a fait que voyager, organiser des carnavals et dépenser l’argent de Petro Caribe dans un gouvernement pléthorique. En effet, le nombre de ministres est passé de 18 à 24 et les budgets de la Primature et du Palais national sont le triple du montant qu’ils étaient sous le gouvernement Préval. Jamais le pays n’a connu une telle gabegie avec une kyrielle de consultants et lobbyistes étrangers chèrement payés et un tel gaspillage de projets improductifs.

On peut tout faire avec la propagande sauf s’asseoir dessus. Selon l’économiste Arthur Malvin Okun, l’indice de la misère est déterminé en ajoutant le taux de l’inflation à celui du chômage. En incluant le taux de rendement des emprunts publics et le manque à gagner entre le taux de croissance actuel et le taux de croissance tendanciel du PIB, on peut mesurer l’évolution de la misère.

Même le chemin qui mène à l’enfer est pavé des meilleures intentions. « La transformation d’Haïti à travers les grands travaux de reconstruction avec les Fonds Petro Caribe », c’est le titre du rapport de 232 pages publié par le gouvernement sur l’utilisation des fonds de Petro Caribe entre mai 2011 et novembre 2014. Selon Cicéron, « celui qui a l'habitude du mensonge, a aussi celle du parjure Â». Sans ambages ni langue de bois, pendant que l’état de délabrement de la Place Simon Bolivar dans la baie de la ville des Cayes raconte une toute autre histoire, ce rapport précise que « Les projets que nous avons implémentés au cours de cette période touchent pratiquement toutes les régions du pays et même des zones reculées comme l’île de la Gonâve ». Pour l’histoire, ce serait une infamie de ne pas rappeler que la cité d’André Rigaud et de Nicolas Geffrard présenta le Bolivarisme sur les fonts baptismaux. Il importe à s’époumoner à répéter que l’intervention célère du général Ignace D. Marion sauva Bolivar qui faisait face à une mutinerie peu de temps après son arrivée, le 28 décembre 1815. Dans un certain sens, c’est un double camouflet à la ville d’Antoine Simon mise à feu lors des présidentielles.

Toutefois, gardons notre motivation principale et soulignons que la baisse du revenu per capita, le déficit énergétique endémique et la dette publique qui passe à plus d’1.2 milliards de dollars américains rendent le débat sur le rendement économique de tous ces fonds mobilisés plus que pertinent. L’impact sur le PIB doit être significatif et palpable. D’ailleurs, la tendance en glissement annuel du taux de croissance confirmait déjà que les cigales du gouvernement allaient déchanter. Devant cette calamité, on est en plein droit d’assumer que les Américains n’ont pas à aller très loin chercher les armes de destruction massive. En concomitance avec la boite de Pandore de 1987, le législatif bicaméral et l’exécutif bicéphale pléthoriques ont rendu un vibrant hommage à la schizophrénie à grands coups d’appui budgétaire de la communauté internationale et de transferts de la diaspora. Incidemment, la déresponsabilisation collective continuera à métastaser toutes les couches d’une société déjà ankylosée par les narcodollars. Dans un contexte pareil, le récent dépeçage territorial du décret électoral représente un indicateur très révélateur de l’intensité de la gloutonnerie politicienne. En attendant l’entrée en fonction des députés de la 50e législature dont le nombre probablement passera de 99 à 118, Haïti vient paradoxalement de renoncer à l'organisation de la 45e Assemblée générale de l’OEA. Dans une lettre adressée par le Chancelier haïtien au secrétariat général de l’Organisation, le gouvernement évoque des contraintes logistiques et financières pour expliquer son désistement. Les cigales, chanteront-t-elles cet été au Carnaval des Fleurs ?

UN CHANGEMENT DE PARADIGMES 

L’objectif de développement a précédé la problématique de la gouvernance qui constitue l’ensemble des politiques de gestion publique pour faire face aux défis du développement. Cette définition fait du développement la priorité de la bonne gouvernance. En ce sens, la définition de la Banque Mondiale est sans équivoque: “La bonne gouvernance est la manière avec laquelle le pouvoir est exercé dans la gestion publique des ressources économiques et sociales en vue du développement.’’(1) Celle de la Coopération pour l’Aide au Développement (CAD) et l’Organisation de Coopération pour le Développement Économique (OCDE) est particulièrement intéressante: ‘‘ la bonne gouvernance est l’exercice du pouvoir politique ainsi que d’un contrôle dans le cadre de l’administration des ressources de la société aux fins de développement économique et social.’’(2)

Au pays du déficit républicain endémique, la définition suivante doit retenir l’attention. Selon l’ACDI, la bonne gouvernance se définirait comme: “l’ensemble des établissements, des procédés et des traditions qui dictent l’exercice du pouvoir, la prise de décision et la façon dont les citoyens font entendre leur voix.’’(3)

Pour ainsi dire, les gouvernés sont directement concernés par la problématique de la gouvernance dont l’opérationnalisation se fait au travers des institutions. Vu l’urgence d’une croissance rapide et soutenue pour le développement, les élites (intellectuelle, économique et politique) doivent chercher à mieux comprendre les enjeux pour se mettre à la dimension des défis. L’idée des Etats généraux sur l’économie (4) doit faire son chemin pour aboutir à la création d’un modèle économique haïtien, d’un tableau de bord et d’un indice pour mesurer la performance d’un mandat présidentiel.

Pour inverser l’ordre qui condamne Haïti au « non-développement durable Â», il est urgent de dégager une vision novatrice pour faire de la croissance économique la priorité des priorités. Dans cette perspective, les politiques publiques doivent viser le développement durable. Pour sortir enfin du colbertisme, diversifier l’économie haïtienne et mitiger sa « dominicanisation Â», des choix impératifs et fondamentaux s’imposent tels que développer un marché intérieur pour rapprocher producteur et consommateur, incuber un marché de capitaux pour mobiliser efficacement l’épargne, concevoir des outils fiscaux pour attirer les investissements. Afin de mieux contrecarrer la notation négative née de l’effacement de la dette, Haïti doit se doter de ses propres moyens d’ingénierie financière.

UNE BOMBE A RETARDEMENT ECONOMIQUE 

Très peu de gouvernements se sont vraiment souciés du développement économique. Les dernières révélations du journaliste Roberson Alphonse confirment cette lapalissade (5). A chaque avènement d’un nouveau pouvoir, les politiciens reprennent sans vergogne la même avalanche de promesses. Incapable de séparer le bon grain de l’ivraie, la société haïtienne, endormie dans l’espérance de la résurrection, est à la merci des contrebandiers. La république est entre les mains des mafieux et escrocs. Le vote est devenu une transaction commerciale.

A la vérité, l’action publique a toujours été bafouée par ceux-là mêmes qui ont été mandatés. Aujourd’hui, le citoyen haïtien paie au prix fort l’effondrement de l’ordre social et la faillite morale d’une société qui n’a jamais vraiment revendiqué les choix économiques fondamentaux. Dans l’intervalle, production nationale, autosuffisance alimentaire, autonomie énergétique, maîtrise de l’eau, éducation, santé… sont tous des rendez-vous manqués. Cette fois-ci, la saison des vaches maigres sera longue. Les cigales vont bientôt déchanter. Pour dire les choses autrement, c’est une grenade à fragmentation qu’on a dégoupillé dans la gorge de la jeunesse.

Depuis quelque temps, les sophistes sont revenus à la charge. Au grand détriment du débat sur l’urgente nécessité d’un modèle économique haïtien. Prisonniers du syndrome de l’érudition, ils exercent une forme de terrorisme intellectuel sur le reste de la société. Qu’on se rappelle que Bruno Giordano a été brulé par l’obscurantisme des grands Inquisiteurs. Au nom d’un académisme rigide, ils ont censuré Galilée et ont tourné Albert Einstein en dérision. En ces temps de grandes confusions, quelle infamie de ne pas rappeler à la postérité la perfidie de ces intellectuels démagogues qui avaient appuyé la soldatesque de Nord Alexis contre Anténor Firmin ! Une vocation. Un sacerdoce même.

Pourtant, de fortes aspirations avaient traversé la société haïtienne. Faute d’une action politique innovante et déterminée, la gabegie généralisée a récemment pris la forme d’une gestion mercantile de l’Etat. A visière levée, sans improvisation ni confusion, les professionnels de la concussion ont pillé et dilapidé. Aux dépens de l’intérêt général immolé sur l’autel du « syndrome de l’insularité Â». En effet, chaque haïtien représente l’ile d’Haïti et chaque politicien parle au nom de la multitude endormie dans l’espérance de la résurrection. C’est la prophétie de Charéron qui avait annoncé la république des voyous.

Dans l’entracte, la grande vadrouille rose se termine sur des notes de plus en plus tristes. Le bilan de l’accident qui s’est produit au cours de la deuxième nuit du carnaval est lourd. Paradoxal quand même de mourir d’électrocution au pays du « black-out Â» permanent! Etonnant de voir comment l’histoire a rattrapé un Président qui doit sa popularité au Carnaval ! Toutefois, la guerre des chiffres sur le nombre de morts et de blessés ne saurait occulter qu’un record vient d’être battu. Aux thuriféraires de l’absurde et aux dépositaires de la zombification des masses de faire le débat sur la rentabilité des trois jours gras. Haïti vient de rédiger un chapitre important du volet de son déficit institutionnel. Dans le pays où l’angle droit n’existe pas, l’anarchie triomphe sur l’empirisme au point où, même après le 12 janvier 2010, les constructions continuent à défier les lois de la physique. Symptomatique d’une société qui ne pourra jamais rebondir sans un minimum d’effort de standardisation. Nous sommes donc tenus d’introniser le scientifique afin que chacun d’entre nous puisse être à la fois une ressource et un lien pour éclairer les choix des citoyens.

Dans ses derniers propos, sans équivoque, le Président de la République a donné la preuve ultime de la culmination de tous nos dénis de réalité : « Je vais étudier toutes les possibilités pour voir dans quelles mesures, avec le support du secteur privé, on pourra organiser le carnaval des Fleurs en été 2015. » « Se mwen ki gen dwa deside si ap gen kanaval. E si pèp la mande kanaval, m ap ba l kanaval » (6). Sans un maillage de volontés disponibles et d’énergies disposées à combattre la mauvaise gouvernance, Haïti ne pourra rejeter ni le « plumen poul la pa kitel rele Â» (7) ni le « laissez grennen Â» (8). Avec un héritage aussi lourd pour les fils autoproclamés de Dessalines et de Pétion, les dépositaires de la zombification des masses continueront à dépenser sans la moindre rationalisation voire la moindre optimisation. Pour briser le cercle vicieux du populisme de gauche au populisme de droite, Haïti devra faire mieux que le simple « nager pour sortir Â» (9). Il faut aller carrément à contre-courant de la pensée magique ridicule qui terrasse Haïti depuis deux siècles.

UN MARCHE DE DUPES

En attente de la multiplication des pains, la société haïtienne n’a pas cherché à comprendre les desseins inavoués et motivations inavouables de la psychose bien entretenue sur l’imminence du tsunami politique. A la vérité, après le passage d’Attila, Néron était déjà dans la cité. En fait, cette intoxication médiatique a eu comme effet pervers de détourner la vigilance citoyenne sur le séisme économique. Le comportement de la classe politique reste et demeure le plus grand obstacle à la reddition des comptes. Pour preuve, l’accélération du chaos vient de remettre en selle l’ordre cannibale permanent. Les bandits ont déjà leur pied à l’étrier. Pour contrer l’ordre républicain. En ce sens, l’histoire d’Haïti ne bégaie jamais.

Le 25 décembre 1904, au terme d’un procès retentissant, un jury condamnait plusieurs anciens ministres et les directeurs français de la Banque nationale aux travaux forcés pour faux, usage de faux, vol et recel. Dans une lettre envoyée à son secrétaire d'État, le ministre plénipotentiaire américain Powell reconnaissait qu'«aucun reproche ne peut être fait au gouvernement quant à la conduite du procès. Le procès était absolument équitable et impartial. » Une opinion largement partagée d'ailleurs par les journalistes étrangers, les représentants de la cour d'appel de Paris et par toutes les diplomates accrédités en Haïti.

Parmi les plus célèbres « Consolidards Â» se trouvaient le directeur de la Banque nationale d'Haïti, le citoyen français Joseph de la Myre-Mory ainsi que ses employés Georges Ohlrich, Rodolphe Tippenhauer, Poute de Puybaudet et Anton Jaegerhuber; les membres de la famille de l'ex-Président Tirésias Simon-Sam, sa femme Constance, (une nièce du Président Salomon) leurs fils Lycurgue et Démosthène, que l'opinion accusait, à tort ou à raison, d'avoir détourné 12 millions et demi de francs or; enfin les sénateurs et anciens hauts fonctionnaires Frédéric Bernardin, Gédéus Gédéon, Edmond Défly, Pourcely Faine, Admète Malebranche, Fénelon Laraque, Hérard Roy(acquitté) Saint-Fort Colin, François Luxembourg-Cauvin, Cincinnatus Leconte, Tancrède Auguste et Vilbrun Guillaume-Sam. Ces trois derniers, futurs Présidents.

La classe politique haïtienne et les grands financiers étrangers ne pardonnèrent pas à Nord-Alexis la ténacité et le courage qu'il a démontré durant l'affaire de la consolidation. Les nihilistes ne lui pardonnèrent non plus d'avoir fait garrotter les pillards des fonds publics avant de les déférer par devant le tribunal correctionnel pour un procès qui, à la vérité, ne visait qu’à manipuler l’opinion publique. Ainsi, le Procès de la Consolidation fut un immense trompe-l’œil d’un gouvernement qui jouait double jeu en se livrant à la corruption tout en prétendant la combattre. Ce fameux procès de 1904, loin d’être un pas de géant, s’est révélé un chantage éphémère des clans des forces réactionnaires en lutte pour l’hégémonie. Entre 1911 et 1915, l’accélération du chaos catapulta six hommes à la présidence d’Haïti. Dans ce contexte où un Président chassait l’autre, survint l’occupation américaine, accueillie avec enthousiasme par l’ensemble de la classe dominante noire et mulâtre selon l’amiral Caperton.

CONCLUSION

Après l’opacité sur la gestion des taxes collectées à partir des appels téléphoniques et transferts d’argent de la diaspora, les thuriféraires de l’absurde ont tenté de redéfinir la diplomatie millénaire qui a subi tous les affronts des affairistes. Dans cette caverne d’Ali Baba, on ne pouvait pas s’attendre au respect stricto sensu des normes sur les passations de marchés. Pire ! En plus de la couleuvre de la modernisation manquée, on veut nous faire avaler qu’un simple rapport d’utilisation des fonds PetroCaribe peut se substituer à un rapport de vérification par des entités indépendantes. Il importe de voir en cet ultime outrage à l’intelligence la confirmation que l’édifice du bons sens s’est effondré.

Lorsque l’absurde est au service de l’impasse politicienne permanente, le développement durable du pays se retrouve plombé et la maximisation du potentiel des régions, prisonnière de la communauté internationale. Cette nomenclature des régions entrave le développement simultané des pôles de croissance indispensables pour un rééquilibrage de l’économie nationale. Avec de pareils amis, Haïti connait ses ennemis. Mais, cette fois-ci, tous les dangers sont amplifiés. Le pays se retrouve au bord du gouffre. A l’entrée de la spirale vertigineuse de l’accélération de la précarité de la situation économique. Les thuriféraires de l’absurde et les dépositaires de la zombification des masses n’auront pas la partie belle pour longtemps. Rien qu’à la capitale, la population va passer de trois à six millions en 2030 (10). Bientôt, au marasme général s’ajouteront les dégâts d’une précarité économique planifiée.

Les Haïtiens doivent apprendre à réfléchir et à s’engager s’ils veulent échapper au non-développement durable. Ils doivent hisser le politique à son plus haut degré de responsabilité, celui d’un pouvoir d’action économique assumé. Les générations ne peuvent plus continuer à transférer les problèmes structurels à la relève. Sans ignorer les réalités de notre quotidien, nous devons avoir le courage d’assumer notre devenir avec responsabilité. En ce sens, la planche à billets ne peut plus continuer à être la planche de salut des pyromanes et des pompiers déguisés en politiciens. Réaffirmons, sans mutilation, la cohésion et l’esprit d’innovation comme des choix cruciaux et insécables. L’économique doit tirer le politique pour qu’Haïti puisse trouver le chemin du développement durable. A ceux qui brouillent constamment les cartes l’histoire, le peuple haïtien doit opposer son droit imprescriptible à l’avenir.

(1) World Bank, Managing Development – the governance Dimension, Washington, 1996.

(2)DAC-OECD, Orientations du CAD sur le développement participatif et la bonne gestion des     affaires publiques, paris 1993.

(3) Agence Canadienne de Développement International, mars 1997.

(4) Idée de l’économiste Fritz Jean, ancien Gouverneur de la BRH.

(5) ALPHONSE Roberson, BID : petit diagnostic en attendant l’inventaire des mauvais projets, Le Nouvelliste, publié le 05 mars 2015

(6) ORISMA Dimitri Nader : Carnaval des Fleurs kanmèm ? Le Nouvelliste-Ticket Magazine, publié le 27 février 2015

(7) Expression proverbiale attribuée à Jean-Jacques Dessalines.

(8) Expression proverbiale attribuée à Alexandre Pétion.

(9) Expression de René Préval.

(10) http://www.miamiherald.com/2013/02/04/3216925_p2/haiti-tackles-housing-crisis.html