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Haiti: Quand les fraudes deviennent normes

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Tous ont fraudé. C'est pratiquement le discours officiel. Le chef du gouvernement, Évans Paul l'admet. Le Conseil électoral l'admet aussi, ne serait-ce qu'en se référant aux résultats publiés. Chaque candidat, dans son fief, aurait mis en branle sa petite machine à fraude. Les premiers comme les derniers, à quelques exceptions près, auraient donc comploté contre l'expression populaire. Contre cette souveraineté revendiquée par les véritables Haïtiens.

Le refus d'appliquer la loi est donc flagrant. Une attitude qui ne sera pas sans conséquence sur le devenir de la nation. Quel que soit le cas de figure, un « fraudeur » sera investi le 7 février si le processus électoral se poursuit. Le Premier ministre Évans Paul, dans ses déclarations, l'entérine. Il plaide pour la continuité du processus. Aussi, a-t-il admis que les candidats ont tous fraudé et que l'on ne pouvait appliquer le décret électoral contre tous, sans casser le processus. La formule « adelante siempre » continue de guider les actes des décideurs. L'annonce de la tenue de la campagne pour le second tour de la présidentielle du 26 novembre au 22 décembre est symptomatique de cet état d'esprit.

Des éléments recrutés pour faire fonctionner la machine électorale auraient également participé à cette supercherie ignoble. Le CEP avait promis de prendre des sanctions exemplaires contre ceux-là. À date, aucune décision sérieuse n'a été prononcée à l'encontre de ces malfaiteurs, sinon la publication de la liste des MBV, des mandataires et observateurs concernés par les procès verbaux mis à l'écart. Mais, dans de telles circonstances, où les instances semblent s'empresser d'étouffer cette escroquerie électorale à grande échelle, les sanctions ne toucheront probablement que les petits exécutants.

Les élections se déroulent donc hors du cadre légal que le consensus entre les différents secteurs de la vie politique du pays avait accouché. « Les promesses des hommes politiques n'engagent que ceux qui les reçoivent », disait cyniquement Charles Pasqua. Et ce cynisme s'incarne dans la société haïtienne via les pratiques de nos « leaders » durant ces élections. Un comportement suicidaire qui risque d'ouvrir un boulevard à l'ingérence donc, la mise à l'écart des politiques haïtiens, hormis les renégats bien sûr, mais également de détruire les acquis démocratiques, socles du projet de 1986.

Le segment du décret électoral traitant des infractions au scrutin semble inopérant donc devant l'ampleur du vol. « Les élections sont faites pour les candidats, on ne peut pas tous les exclure. » L'on s'empêtre dans la crise. Et le président de la République Michel Martelly salue les deux candidats, grands bénéficiaires de cette imposture généralisée qui devra accoucher, comme souhaité par tous les pseudo-apôtres de la démocratie, Core Group en tête de liste, d'un second tour libérateur le 27 décembre.

Le chef de l'État, dans une note fièrement publiée par son secrétariat, annonce avoir appelé les candidats retenus pour le second tour, pour les féliciter. Un acte élégant, en temps normal. Cependant, vu le déroulement des faits, cet appel s'apparente à un passe-droit et légitime les forfaits commis le 25 octobre qui, comme l'avait soutenu M. Martelly à l'occasion de la célébration des 212 ans de Vertières, fait « filer le pays de nos mains ».

Les grognes de la rue devront être négociées autour de la table pour assainir l'ambiance et créer les conditions nécessaires à la poursuite de ce fiasco de 74 millions de dollars américains qui déterminera l'avenir de la démocratie dans le pays. C'est ce que croit le chef du gouvernement haïtien qui a soutenu sur les ondes de la station de radio Vision 2000 qu'il va falloir dialoguer, tout en se positionnant contre tout projet de transition et/ou d'élimination du scrutin du 25 octobre. C'est une information importante dans ce contexte délétère. La solution à la crise serait-elle connue d'avance?

En tout cas, chef de parti lui-même, la position d'Évans Paul est compréhensible et transpire un certain parti-pris. Le 9 août a été considéré parmi les élections les plus truquées de l'histoire où des hommes armés à visière levée ont bourré les urnes et saccagé de nombreux bureaux de vote, sans compter le commerce des mandats qui a faussé un peu plus ces scrutins. Mais, dans ce tourbillon de ridicule dans lequel le pays fut plongé, la KID, parti de K-Plim, a tiré ses épingles du jeu. Et encore plus lors du 25 octobre, avec de nombreux cartels de mairies, de sénateurs et de députés élus. Cette position affichée est donc intéressée, d'autant que sa mission fondamentale est justement de réaliser de « bonnes élections » dans le pays pour juguler la crise qui perdure.

Lionel Édouard
Source: Le National
Caricature: Facebook