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Ranmase : La fleur et l’épine
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- Publié le dimanche 17 novembre 2013 04:09
Par Leslie Péan, 16 novembre 2013 --- C’est le titre de ma samba préférée. A flor e o espinho (la fleur et l’épine). Une composition brésilienne de Raul Moreno de 1957. L’interprétation qui m’enchante est celle de Nelson Cavaquinho et d’Elizeth Cardoso de 1973. Pourquoi cette référence ? En écoutant une station de radio ce samedi matin, j’ai senti cette connivence oblique. Entre le nouveau et l’ancien. L’idéal et le vécu. La fleur et l’épine. Entre la démarche dynamique d’une jeunesse qui veut styliser la vie haïtienne autrement et des forces rétrogrades qui veulent projeter sur les êtres et les choses leurs pensées diaboliques. La pluralité de cette écriture radiophonique du samedi matin reflète les pôles de notre société. On y trouve des démérites, des poncifs, lieux communs, fourre-tout des discours politiques d’un passé qui ne veut pas passer. Mais aussi des gens sérieux dont les œuvres parlent d’elle-même. Sans publicité. Des personnes qui, comme Molière ou Bach, produisent des chefs-d’œuvre pour l’éternité.
Entre la camelote et la qualité, ce programme radiophonique très écouté est destiné à contribuer à faire que les Haïtiens ne soient plus de simples pantins, incapables de prendre en main leur propre destin. L’occasion a été donnée d’entendre autant les paroles d’avenir des jeunes déterminés à monter à l’assaut du mal, que des fieffés réactionnaires se paradant derrière le manteau de la démocratie pour refuser aux Haïtiens le droit de donner un sens à leur vie. D’un côté, il y avait des gens qui s’amusaient à polluer l’air en intoxiquant les consciences. De l’autre, c’était l’euphorie des démocrates appelant à manifester lundi 18 novembre contre un gouvernement aux pratiques fascistes rappelant le duvaliérisme. C’était un test réussi de la maturité d’un peuple qui dit non à la dérive du gouvernement Tèt kale et qui demande son départ.
Les démocrates et les progressistes ont présenté des analyses profondes, réfléchies et responsables d’une situation qui risque de devenir explosive si la bande à Martelly persiste dans la voie actuelle. Ils ne sont pas tombés dans les provocations des réactionnaires endurcis et ont affiché leur disponibilité et leur désir d’un dialogue franc. Malgré les pierres d’achoppement semés sur leur chemin par les bandits légaux et leurs partisans. Les démocrates ont gardé leur sang-froid. Les épines étaient grosses et voulaient parfois cacher la rose. Dans un pays où les idées rétrogrades et réactionnaires circulent 20 heures sur 24 dans les media, il a fallu de l’abnégation pour encore partager, sous prétexte de démocratie, quelques heures d’une pensée alternative avec Fos fè nwa yo. Sa rèd !
Quand les représentants des bandits légaux s’exprimaient, c’était carrément décourageant et déprimant. Notre amour-propre a été piqué d’entendre des gens se réclamer, sans gêne et sans état d’âme, du fascisme duvaliérien, ce monstre qui a massacré plus de 50.000 Haïtiens. Par moments, cette présence était carrément insultante pour la mémoire de toutes ces familles qui ont connu les prisons de Fort Dimanche ou qui ont eu des parents tués par les tontons macoutes. Quel lourd prix à payer pour une station de radio afin qu’elle puisse faire passer quelques heures de parole démocratique ? C’est vrai qu’Haïti soit un carrefour de cultures et de mentalités, mais de grâce, qu’on ne tue pas nos morts une seconde fois avec cette pensée des cimetières qu’est le duvaliérisme. Non, mille fois non, le fascisme doit être banni. Les criminels ne peuvent pas être tolérés sous prétexte de démocratie. C’est de la folie ! Le modèle américain qui nous est présenté comme alternative ne convient pas. On est loin d’une démocratie dans ce pays où les forces d’argent constituent une oligarchie qui corrompt toute la vie en achetant les consciences, les élections, les politiciens, les parlementaires, les juges, etc. Au moins, dans ce pays-là , on arrive à corrompre les consciences car les gens ont plus ou moins de quoi manger et se vêtir. Mais chez nous, la propagande ne saurait arriver à corrompre le peuple pour qu’il vote contre ses intérêts. Sak vid pa kanpe. La propagande ne pourra jamais faire admettre à quelqu’un qui a faim que son ventre est plein.
Fos fè nwa yo fè tout sa yo té kapab pour s’infiltrer dans les rangs des démocrates afin d’occulter leurs valeurs réelles et permanentes. Mais à chaque fois les masques de Tartuffe ont été enlevés et des paroles de vérité sont tombées d’elles-mêmes. Leur déchirement était évident et ils ont même dû condamner la corruption du gouvernement Tèt Kale en ce qui concerne son utilisation frauduleuse du don des 3.4 millions de dollars venant de l’Uruguay ou encore l’arrestation de maitre André Michel. Toutefois ce sont des incorrigibles. Ils sont revenus avec leur méthodologie ambivalente yon kout dlo cho yon kout dlo frè. Ces gens ont l’esprit crochu. C’est le fleuve qui s’en va et qui demeure. Le flux et le reflux.
Les défenseurs des bandits légaux ont été démasqués. Ils croyaient se cabrer mais ont dû montrer la couleur de leur jeu sous les feux croisés des démocrates progressistes. Malgré leurs pirouettes politiques, leur tactique visant à brouiller les cartes a piteusement échoué. Les fantôches ont dû s’incliner devant la maturité politique de l’opposition plurielle. Les thuriféraires des apprentis sorciers Tèt Kale ont été pris de court devant la résilience de leurs adversaires. Ils étaient tellement décontenancés qu’ils ont appelé à la trêve. Au cessez-le-feu. La dynamique historique des manifestations pour le départ de Martelly est lancée. Rien ne pourra l’arrêter. La plus grande leçon du 18 novembre à Vertières est que rien ne peut vaincre la force d’un peuple prêt à mourir pour la liberté. Yon revolvè gen 6 bals. Si ou gen 10 moun devan’w ki pa pè mouri, ou ka touye 6, men 4 lot yo ap pran’w e dechèpiye’w. Pito ou kouri. Haiti vit le temps des oseurs comme aurait dit Beaumarchais. Le peuple a pris l’arme efficace de la parole et des manifestations pacifiques. Il ose braver le pouvoir lougawou. Pleins feux sur le quartier général ! Cassons les épines pour garder la fleur.
Leslie Péan
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