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Les dessous de l’opération « bandit légal » en Haïti (1 de 2)
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- Publié le lundi 26 janvier 2015 21:09
Par Leslie Péan, 25 janvier 2015 --- Dans la grande confusion créée par la succession d’événements qui se déroulent en Haïti depuis novembre dernier, l’observateur même averti se trouve complètement dérouté. Sans un minimum d’informations sur la part du narcotrafic dans la détérioration de la situation politique, il est impossible de comprendre quoi que ce soit. Le présent article a pour objectif de jeter une certaine lumière sur cet aspect de la question.
L’élimination physique de Pablo Escobar, chef du cartel de Medellin en décembre 1993 suivi de la mort de ses lieutenants, José Gacha, les trois frères Ochoa et de l’arrestation de Carlos Lehder, ainsi que l’extradition aux Etats-Unis des frères Gilberto et Miguel Orejuela, chefs du cartel de Cali, ont conduit à d’importantes modifications dans le trafic des stupéfiants en Haïti. Selon le criminologue Daurius Figueira[i], l’État haïtien a perdu en 2005 le monopole de la violence qu’il détenait jusqu’en 1993. Les armes lourdes données par les narcos colombiens aux « chimères » pour protéger leurs cargaisons de drogue en transit en Haïti ont donné à ces derniers une capacité de feu supérieure à celle de la Police nationale. La perte du monopole de la violence par l’État haïtien est due autant à des causes internes qu’à des causes externes.
Au fait, cette perte a commencé avec la mise des ressources de l’armée haïtienne à la disposition du cartel de Medellin pour le transit de la cocaïne en Haïti[ii]. Un arrangement négocié par le lieutenant Michel François[iii] à Medellin en 1984 selon le témoignage fait par le narco colombien Gabriel Taboada devant le Comité des affaires étrangères du Sénat américain en 1994 dirigé alors par le sénateur John Kerry. Bonne affaire pour les narcos, mais catastrophe pour l’institution militaire qui va en payer le prix une décennie plus tard. D’ailleurs, à un moment où le jeune officier Michel François assumait les fonctions de Prosper Avril (alors en disgrâce) au Palais national, on peut douter qu’il se serait aventuré à rencontrer de sa propre initiative Pablo Escobar en Colombie. Autrement dit, sans la complicité des plus hautes autorités du pays, en l’occurrence ses supérieurs hiérarchiques et le président de la République lui-même, Jean-Claude Duvalier.
En réalité, le démantèlement de l’Armée — qui s’est fait plutôt en 1995 qu’en 1993 — est la cause interne principale de la perte du monopole de la violence par l’État haïtien. Mais sur le plan externe, c’est du côté de l’offre de cocaïne que vient la perte de ce monopole. Les nouvelles organisations nées du démantèlement des cartels de Medellin et de Cali changent les règles du jeu. Le paiement des intermédiaires haïtiens et dominicains ne se fait plus en dollars, mais plutôt en cocaïne. D’où le phénomène des « puntos » de distribution en République Dominicaine qui explosent au point où la police dominicaine a démantelé 1 285 « puntos »[iv] au cours du seul mois de juillet 2014.
L’effet cocaïne conduit à la prolifération d’armes de gros calibre dans les bidonvilles en Haïti pour protéger les cargaisons de drogue en transit, mais également celles appartenant aux passeurs intermédiaires. Pour sortir gagnants, les narcos ont inondé les bidonvilles d’armes de haut calibre. On s’explique donc la déclaration de Godson Aurélus, chef de la police, qui avance le 20 janvier 2015 l’existence illégale de plus de 250 000 armes de gros calibre en Haïti[v]. Il emboîte le pas à ce que disait Mark Schneider du International Crisis Group en 2005 quand ce dernier constatait que la situation de résignation qui se lisait il y a douze ans sur les visages des habitants de bidonvilles tels que Cité Soleil ou Cité militaire n’est plus la même du fait des armes qui existent dans ces milieux[vi].
Avec ou sans K-Plim, Martelly perdra des plumes
Cela fait plus d’une décennie depuis que les dirigeants du mouvement Lavalas sont conviés à faire un examen de conscience sur le coup d’État de 2004 qui a mis fin au second gouvernement du président Jean-Bertrand Aristide. À un moment où Haïti est encore confrontée à la nécessité d’être gouvernée autrement, la société peine à dépasser le « homo homini lupus » pour envisager même le commencement d’une prise de conscience. Le pays est bloqué car la démocratie pluraliste nécessaire pour insuffler l’élan libérateur fait défaut. Le gouvernement Martelly a pris la route qui arrange ses affaires : il n’existe pas de parlement et de système judiciaire indépendant. Mais le peuple haïtien veille, et qu’il le veuille ou non, avec ou sans K-Plim, Martelly perdra des plumes.
L’accident Martelly est toutefois révélateur de l’existence d’une classe politique qui est en reste devant un « bandit légal » dont le seul atout est le toupet et qui a su exploiter les graves erreurs du mouvement Lavalas. Il importe de bien comprendre les dessous de l’opération « bandit légal » qui constitue une revanche des Américains sur les cartels colombiens. Martelly n’est pas tombé sur Haïti comme une pluie de printemps. Il est le fruit d’un laboratoire qui l’a formaté à coup de millions en exploitant au maximum les déviations populacières du gauchisme chrétien. Les pauvres des bidonvilles étaient séduits par les prêches politisés du curé de Saint Jean Bosco qui leur redonnaient espoir. Ce dernier fermait les yeux sur leur démesure. Nonchalance vite exploitée par les cartels colombiens qui distribuent des armes fann fwa (de guerre) dans les bidonvilles. Et dire que les pauvres de ces quartiers avaient déjà tous les atouts en main et qu’ils pouvaient gagner sans tricher avec ces armes.
L’ambigüité du mouvement Lavalas a fini par le desservir. La corruption des chimères par les cartels colombiens de la drogue a fini par les retourner contre le mouvement Lavalas. Les dirigeants de ces cartels les ont récupérés dans les ghettos et bidonvilles et ils ont tourné le dos à celui qui se disait leur bienfaiteur. D’autant plus qu’il a irrité nombre d’entre eux en livrant en 2003 aux Américains des barons de la cocaïne tels que le colombien Carlos Ovalle et les Haïtiens Jacques Beaudouin Kétant et Eliobert Jasmin alias ED One[vii]. Fin du premier acte. La mort d’Amiot Métayer alias Cubain, chef de l’Armée cannibale aux Gonaïves le 21 septembre 2003 a sonné le glas de ce que Michel Chossudovsky nomme la « narco-démocratie »[viii] et à laquelle il faut ajouter le qualificatif de populaire. De ce fait même, le soutien populaire qui avait porté le mouvement Lavalas au pouvoir va se rétrécir comme une peau de chagrin devant l’avance des « rebelles » appuyés autant par les narcotrafiquants que par la CIA.
Le mauvais rêve du développement avec les miettes du trafic illégal s’envole. Tout comme il s’est envolé en Colombie avec les narcos essayant de justifier le trafic de stupéfiants comme une activité anti-impérialiste. On le voit dans l’ouvrage de la colombienne ‪Astrid Legarda MartÃnez consacré à Pablo Escobar où ce dernier est présenté comme un héros[ix]. Tout comme certains trafiquants de drogues tels que Wodson Lemaire alias Colobri, Robenson Thomas alias Labanyè, Emmanuel Wilmé alias Dread Wilmé, Amiot Métayer alias Cubain et René Jean Anthony alias Grenn Sonnen (testicules sonnants) étaient présentés comme des révolutionnaires en Haïti en 2003, Pablo Escobar est présenté comme un héros du fait que la drogue est distribuée sur le marché américain et que les narcos sont traqués par la DEA. Les bases du syllogisme sont fausses et ne peuvent en aucun cas transformer des dealers de drogue et en faire des révolutionnaires. (à suivre)
Economiste - Historien
[i] Daurius Figueria, Cocaine and Heroin Trafficking in the Caribbean, Volume 2, iUniverse, Bloomington, Indiana, 2006, p. 5.
[ii] Tim Weiner, « Colombian Drug Trafficker Implicates Haitian Police Chief », New York Times, April 22, 1994
[iii] Recent developments in transnational crime affecting U.S. law enforcement and foreign policy; mutual legal assistance treaty in criminal matters with Panama, Treaty doc. 102-15; and 1994 international narcotics control strategy report : hearings before the Subcommittee on Terrorism, Narcotics, and International Operations of the Committee on Foreign Relations, United States Senate, One Hundred Third Congress, second session, April 20 and 21, 1994, p. 107.
[iv] « La PolicÃa desmantela en un mes 1.285 puntos de droga en República Dominicana », Listin Diario, 5 de Agosto de 2014.
[v] « Haïti – Sécurité: Plus de 250 mille armes circulent illégalement en Haїti », Radio Vision 2000, 21 janvier 2015.
[vi] Mark L. Schneider, « Politics at the point of a pistol in Haiti », Los Angeles Times, November 29, 2005.
[vii] Romain Cruse, Géopolitique et migration en Haïti, essai sur les causes de l’émigration haïtienne et sur l’utilisation des migrants, Presses de l’Université des Antilles et de la Guyane, 2012, p. 88.
[viii] Michel Chossudovsky, « US Sponsored Coup d’Etat
 - The Destabilization of Haiti », Global Research, February 29, 2004.
[ix] Astrid Legarda MartÃnez, El verdadero Pablo: sangre, traición y muerte, Bogotá, Colombia, Ediciones Dipon, 2005.
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