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Le mouvement YO-YO avec tendance à la baisse dans la société haïtienne (2 de 2)

opont manipulationManipulation électorale: Pierre Louis Opont, ses blancs et les chiffres

par Leslie Péan, 27 décembre 2015  ----  La remontée attendue du yo-yo s’est faite avec le report sine die des élections du 27 décembre 2015. Les Haïtiens ont refusé de renoncer à leurs droits de vote et forcé le régime Tèt Kale à une première marche arrière. Ils continuent néanmoins à dénoncer les fraudes et réclament justice. Le mouvement démocratique et progressiste a du pain sur la planche pour mener une enquête impartiale et faire sanctionner convenablement les fautifs. Qu’on ne se fasse pas d’illusions ! Si les bandi legal du gouvernement Martelly-Paul et du CEP ont été obligés de reculer, ils n’ont pas abandonné leur « jeu de passes courtes » pour transférer le pouvoir à Jovenel Moïse et dominer le Parlement. C’est d’ailleurs ce qui explique les mouvements à la baisse du yo-yo marqués par l’installation le 22 décembre d’une nouvelle Commission du Père Noël d’évaluation électorale et l’éjection d’Anthony Pascal (Konpè Filo) et Manno Charlemagne.

Les contours de la manÅ“uvre politique  seront encore plus perceptibles bientôt. Déjà, dans la plus pure tradition macoutique, le gouvernement Martelly-Paul a engagé des manÅ“uvres de déstabilisation du G-8 et du Réseau National de Défense des Droits Humains  (RNDDH). Au moment où le G-8 exige le renvoi du CEP au complet, l’Arrêté de la Primature en date du 22 décembre donne un autre son de cloche et laisse croire que Jovenel Moïse et Jude Célestin auraient trouvé une entente pour évaluer les élections du 25 octobre avec la Commission du Père Noël d’évaluation bidon créée par la Primature. Les fomenteurs qui sèment la division ont échoué dans leur manÅ“uvre grotesque.

Le pouvoir en place et ses suppôts sont prêts à faire couler une fois de plus le sang du peuple pour déstabiliser le G-8. À moins qu’ils ne soient pris au collet avant qu’ils ne bougent. Les Tèt Kale vont faire toutes les manœuvres politiques imaginables pour reprendre du poil de la bête. Et à ce carrefour, les forces du statu quo vont revenir avec la même stratégie de corruption utilisée à l’hôtel El Rancho en 2014 pour attirer dans leurs rangs tous les Haïtiens sans squelette qu’ils trouveront sur leur passage.

L’histoire d’Haïti est pavée de ces revers dont la laideur s’embarrasse rarement de sentiments nobles pour accoucher un cruel destin. Il faut donc que le mouvement démocratique et progressiste prenne une plus grande ampleur au cours des premiers jours de 2016 pour mettre fin une fois pour toutes à la malédiction séculaire qui contraint notre peuple à  se débattre dans ses propres ténèbres, comme l’observait l’immortel Edmond Paul. Sinon le mouvement yo-yo avec tendance à la baisse continuera sa marche lugubre, accumulant en toute impunité méfaits sur méfaits, cadavres sur cadavres.

La sauvagerie macoute dans la société haïtienne

Le cas de l’enlèvement de Lencie Mirville de 23 ans par des malfrats est un indicateur du non-retour atteint. Le père de la victime, le pasteur Mirville, propriétaire d’un bureau de change Western Union à Carrefour paie les 50, 000 dollars US exigés par les ravisseurs. Mais ces derniers tuent Lencie Mirville le 3 décembre 2015. Les assassins sont les nommés Guerrier Jean Francky (42 ans), Barthélemy Edison (32 ans), Géraldy B. William et Désir Jepson alias « Sonson Â» (28 ans)[i]. Le système est complètement pourri et la gangrène affectant la jeunesse a atteint tout le corps social. Déjà en 2007, Mario Andrésol directeur de la PNH, avait tiré la sonnette d’alarme. Il disait :

«  Dans les couloirs de nos tribunaux de paix, de nos parquets, de nos cabinets d'instruction, mandats d'amener ou d'arrêt, ordres de mis en dépôt se vendent à la criée et qui pis est "AU NOM DE LA REPUBLIQUE". Cette république sans vertu devenue, sacrifiée sur l'autel de la corruption, libre et indépendante depuis 202 ans, souillée, avilie et trahie par ses propres fils, fait face, aujourd'hui à une crise des valeurs, une carence de vieilles graines d'hommes et de femmes honnêtes, intègres, compétents, courageux et surtout moraux[ii]. Â»

Cette sauvagerie macoute est le résultat d’un processus de cannibalisation de la démocratie que les sbires du gouvernement des Duvalier ont appliqué systématiquement. D’abord, ils ont inauguré une politique d’exode rural avec les manifestations des 22 mai, 22 septembre et autres 22. Cette politique anti-paysanne poursuivie à travers l’éradication du cheptel porcin prend de nouvelles dimensions après la chute de la dictature Duvalier en 1986. L’élite économique inaugure alors une politique tarifaire et de promotion des industries d’assemblage à la Capitale qui ont saboté l’agriculture.

Les résultats sont catastrophiques. La capitale Port-au-Prince qui avait 500 mille habitants en 1970 se retrouve avec plus de 2 millions d’habitants en l’an 2000. Et depuis lors, le yo-yo du chen manje chen ne cesse de descendre. Une tendance à la baisse qui ne fait que s’accentuer. Comme le souligne Frère Armand, « L’Haïtien a toujours subi l'autre ou lutté contre lui; il en est resté quelque chose dans les mentalités. Face à la nature aussi il se bat, il se venge de son assujettissement. Malgré l’attachement pour les paysans, force m’est d’admettre qu’en Haïti la nature est violée par ceux qui vivent d’elle. Depuis trente ans la déforestation ravage le pays et le paysan continue de couper les arbres dont il tire les fruits[iii].»

Le savoir sur le marronnage

Mais, par-delà les assassinats, tortures et disparitions de milliers de citoyens, le mal introduit par la bande à Duvalier dans l’âme haïtienne continue sa route. En ce sens, le marronnage présenté par François Duvalier et ses partisans comme la solution nationale avec l’érection de la statue du marron inconnu en face du Palais national constitue la plus grande mystification inscrite dans nos annales. C’est la mise en Å“uvre de l’idéologie des Griots qui a été combattue par les progressistes comme Etienne Charlier dans son Aperçu sur la formation historique de la nation haïtienne publié en 1954 et qui provoqua sa fameuse polémique avec Emmanuel C. Paul en 1955. Les textes de Charlier ont été réunis sous le titre « En marge de notre aperçu Â». Dans ses deux ouvrages, Charlier a bien montré la réalité du marronnage dont il ne sous-estime pas le rôle et dont il restitue la vérité à partir d’une enquête fouillée. Loin des arguments décousus des chantres du marronnage qui n’étudient pas la question en profondeur.

Charlier montre d’abord que le marronnage n’était pas un phénomène général à Saint-Domingue. Ensuite, à la veille de 1789, le seul foyer actif de marronnage dans l’ile est dirigé par Santyague, chef des marrons du Bahoruco. Ce dernier a fait la paix et signé deux traités en 1785 avec les gouvernements espagnol et français des deux parties de l’île. Les marrons s’accommodent des dysfonctionnements de la société esclavagiste. Ils acceptent « de cesser leurs incursions contre les habitations et de soumettre leurs compagnons récalcitrants Â»[iv]. Enfin, l’avant-garde de la lutte révolutionnaire ne vient pas des esclaves marrons. Elle part des esclaves travaillant sur les exploitations coloniales de la plaine du Fond-des-Cayes avec le soulèvement du 24 janvier 1791 des esclaves de Port Salut et des Cayes dont l’un d’entre eux Barthélemy[v] se retrouve à coté de Boukman à la plaine du Nord les 14 et 22 août 1791. Ce savoir est resté circonscrit dans certains cercles d’initiés tandis que la propagande noiriste a été diffusée pour paralyser les esprits de la jeunesse.

Le handicap du caractère

Aujourd’hui comme hier, la puissance publique est au-dessus des lois. Personne ne sait maintenant sous l’égide de quelle Constitution le pays est gouverné. Comme pour une entreprise avec des fondamentaux tels que le chiffre d’affaires, les résultats, les dettes, la trésorerie, etc., une République a aussi des assises telles que la règle de droit, l’indépendance et la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, la désignation des différents pouvoirs au suffrage universel, la laïcité de l’État,  etc.

Personne ne peut nier que le gouvernement Martelly et le CEP sont empêtrés dans un scandale électoral où les mauvaises pratiques ne se comptent plus. Haïti se passerait bien de cette situation scabreuse qui lui a valu les manchettes de la presse internationale du Washington Post au New York Times. Bien sûr, pour les coquins au pouvoir, l’embarras n’existe pas. Nous touchons là au caractère profond de l’Haïtien à la recherche de son émancipation dans l’univers esclavagiste dont il a intériorisé les valeurs négatives. Ce handicap du caractère tordu est à la source de nos problèmes. Il importe de s’y arrêter, car les valeurs morales ne sont plus enseignées à l’école. Pire, la dégringolade du sens affecte l’entendement au point que le respect d’un stop n’est pas considéré normal. Dans le jeu actuel du yo-yo, c’est l’individu qui décide s’il y a lieu de respecter la règle à tout moment. Au volant de son véhicule comme dans un bureau public ou un bureau de vote !

Les errances de la classe politique haïtienne sont lassantes et ne se comptent plus. Le yo-yo du dispositif d’exclusion exploitant la question de couleur (noir/mulâtre) trouve toujours des agents dans les classes moyennes. Ce fut le cas lors de la campagne électorale de 1957 entre Déjoie et Duvalier. Pour éviter que le texte soit trop long, nous en reparlons dans un texte à part. Les moments d’affolement se succèdent dans une normalité portant la classe politique à faire constamment des croix sur ses engagements. Et quand elle résiste, les milieux ecclésiastiques sont invités à prendre la relève en volant au secours des pratiques mafieuses. Refusant la laïcité de l’État, les représentants des secteurs catholique, protestant et vodouisant se démêlent comme des diables dans un bénitier pour rapiécer le statu quo et maintenir la société dans l’abjection et l’indignation.

Combattre la corruption des esprits

Cette situation est judicieusement condamnée par l’ingénieur Erno Derenoncourt  qui écrit :

« Au demeurant, de quelque lieu économique, social et politique où l’on se tienne, il semblait impossible, humainement, de ne pas s’indigner devant cette flagrante démarche électorale peuplée de fraudes, de magouilles, d’intimidations et d’autres vilénies visant à maintenir au pouvoir une certaine vision politique. Cette indignation collective était d’autant plus attendue que toutes les tentatives pour défendre cette infâme opération électorale ont conduit jusqu’ici à des impasses logiques, morales et éthiques qui insultent la pensée et consacrent, même dans une certaine mesure, l’effondrement de la raison en Haïti[vi]. Â»

À l'approche de 2016 qui s'annonce sous les pires auspices, tout indique que l'actualité apportera chaque mois, chaque semaine ou peut-être même chaque jour de bonnes raisons de dire : « On n'était jamais tombé si bas. » En effet, le yo-yo remontait autrefois dans la main du gamin à la fin de la récréation. Mais maintenant, il continue à descendre tout seul et ne remonte que pour redescendre plus bas dans une sorte de puits sans fond.

En effet, la tâche est immense. Mais on ne doit surtout pas se laisser gagner par la corruption des esprits. Il faut s’attendre à d’autres avilissements et d’autres trahisons. Ce qui importe est de tout faire pour empêcher que la lassitude et le dégoût de la chose politique s’installent. L’incohérence et la servilité doivent être contrées sans détour. L’existence d’un climat de désapprobation générale reflète les limites de l’argent de la cocaïne et des débauches de carnaval. La route est longue mais elle se raccourcit chaque jour au rythme des pas des marcheurs. En avançant ensemble, nous finirons par trouver l’étincelle du Bois-Caïman qui mettra le feu à toute la plaine.

 Leslie Pean
Historien - Economiste


[i] Radio Kiskeya, « Arrestation des 4 présumés auteurs de l’assassinat de la jeune étudiante Lencie Mirville (23 ans) Â», 20 décembre 2015.

[ii] Le Nouvelliste, 19 au 21 janvier 2007, No 37549.

[iii] Francklin Armand et Édouard Pazzis, Paysan de Dieu : La longue marche du peuple haïtien, Paris, Bayard Éditions - Centurion, 1997, p. 242.

[iv] Etienne Charlier, Aperçu sur la formation historique de la nation haïtienne, Port-au-Prince, Les Presses libres, 1954, p. 29.

[v] Carolyn Fick, The Making of Haïti - The Saint-Domingue Revolution from Below, Knoxville, The University of Tennessee Press, 1990, p. 137-138 et 159.