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Perspective historique: Le supplice du collier ou père Lebrun n’est pas un phénomène haïtien et encore moins lavalassien

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Par Norluck Dorange --- Comme Winston Churchill l'avait dit, "l'histoire me sera clémente parce que c'est moi qui l'écrirai". Des échanges observées sur les forums autour du sujet m'ont fait penser à cette déclaration de Churchill qui, effectivement, est couvert de lauriers par l'histoire, alors qu'il a versé tant de sangs, au nom de son pays, l'Angleterre.

Le jeu d'association Aristide/Lavalas/Père Lebrun relève d'une malice qui s'éloigne de la dynamique didactique pour s'insérer dans une logique de fossoiement de l'histoire contemporaine. Ecrivons au moins avec la conviction que la postérité qui sera électronique ou non, s'inspirera de nos textes pour bien comprendre les temps que nous vivons aujourd'hui.

Les Haitiens ont découvert le supplice du collier vers le milieu des années 80 quand la Télévision Nationale, la seule qui émettait à l'époque sur les ondes hertziennes, diffusaient dans ses segments de nouvelles internationales, les dernières pages de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud. Les nouvelles montraient par moment des images de policiers, indicateurs de police ou attachés, donc des makouts, du régime apartheid, tous vivant eux aussi dans les mêmes bidonvilles ou townships, que les résistants de Soweto ou de Johannesbourg, qui les faisaient flamber à cause de leur implication dans les opérations de répresssion. Les Haitiens qui, à l'époque vivaient bloqués sous la férule duvaliéro-bénétto-makoute admiraient, dans le silence, comment les peuples opprimés de la République Dominicaine, faisaient flamber des pneus usagés dans les rues des grandes villes de Santo Domingo à Puerto Palta en passant par Santiago, afin de protester contre une nouvelle montée des prix sur les produits de première nécessité. De temps à autre des segments de nouvelles, films et documentaires montraient des histoires de résistance de peuples africains et latino-américains, protestant contre l'opression de leur gouvernement.

Et vint le 7 Février 1986. Le slogan dans les rues était "Viv Lame Aba Makout". Osons le dire aujourd'hui, ce fut la hiérachie des FAD'H plus le CNG, moins feu le colonel Jean Claude Paul, qui encourageaient, sinon, laissaient faire, la furie populaire contre les Makouts. C'était une réaction spontanée d'une population qui "braisaient" un certain Bibile à la 5ème Ave, parce que celui-ci s'amusait à détenir et torturer ses jeunes voisins qui osaient regarder le postérieur de sa femme, alors qu'il maltraitait celle-ci comme une chienne. Juste pour illustrer un cas. L'armée s'était faite une petite santé politique en se dissociant des hommes en bleu, appellés quelques annnées plutôt, le poto-mitan du régime, par Baby Doc dont la dictature venait d'être déchouquée. Ceux qui subissaient le supplice du collier furent de vrais nervis qui torturaient, tuaient, oppressaient leurs voisins des quartiers populaires. Mais, un grand makout de Portail Leogane, Valcius Estinval, n'était-il pas protégé par la population de la zone contre la furie d'autres résidents venus de Savane Pistache. Alors? Quand, revenu en Haiti, Baby Doc demanda pardon à ses petits makouts qui périrent flambés à l'époque, n'est-ce pas cet assassinat de la mémoire collective, entrepris par le Tigre en personne, revenu en toute arrogance sur le lieux de ses crimes sanguinaires et financières?

Quand, après la fuite du dictateur en février 1986, la hiérarchie catholique prêchait le pardon et la réconciliation avec les bourreaux d'hier, Aristide et les prêtres du réseau de la Thélogie de Libération rétorquaient avec le slogan Justice avant le Pardon, Réparation avant la Réconciliation. Ce sera le début d'un bras de fer entre ce que les médias à l'époque appellèrent Tèt Legliz la et Ti Legliz yo. Ce qui faisait du prêtre de St Jean Bosco le porte-étendard d'un mouvement qui le conduira loin des chairs d'Eglise à partir de Septembre 1988. Je me souviens de ce sermon dit enflammé dans lequel Aristide comparait les kraze brize, boule de Josué à Jéricho (lire Josué Chapitre 6 dans la bible) qui se défoulait lui set ses juifs qui "venaient de subir les affres de l'esclavage en Egypte", pour justifier l'usage du père Lebrun par les Haitiens longtemps opprimés pendant 30 ans par une dictature makout (Avec un peu plus d'éducation aujourd'hui, je n'accepte pas un tel discours). Mais, c'était les hommes d'Eglise qui lisaient dans la bible dite "parole sacrée" d'un dieu qui ne m'émeut plus. Bref, passons. L'incendie de l'Eglise St Jean Bosco le 11 Septembre 1988 par les sbires de Frank Romain, mit fin au chapitre effectif de la prêtrise d'Aristide.

Des membres de l'élite Haitienne ont souvent pris leur plume pour pourfendre le père Lebrun et se morfondre sur l'incendie de l'ancienne cathédrale comme étant l'oeuvre de hordes sauvages envoûtés par un certain Jean Bertrand Aristide. Je comprends que des émotions prennent souvent le pas sur le raisonnement sociologique. Une pareille approche devrait constituer une démarche comportementale visant à tirer les leçons de nos passés. Or, si nous continuons à fausser un passé voire récent, on voit bien comment nous continuons à mentir à nous-mêmes en reproduisant une société basée sur le grand bluff et le mensonge vicieux.

Le supplice du collier enflammé ou haïtiennement appellé père Lebrun n'est pas une invention Haitienne. Il ne saurait être réduit à une affaire d'arme de frayeur des partisans de Lavalas. D'ailleurs, les opprimés et les "aigris" Haitiens ne vivotent pas seulement dans les milieux populaires urbains et chez les sans-terre de la paysannerie. Lors des déchoukages épisodiques de 1986 chez les makouts "supérieurs" tels une Carmen Christophe, les déchoukeurs furent des éléments du lumpem, mais les véhicules de marques, les "frigidaires", les tableaux de prix, les argenteries furent récupérés au premier coin de rue, et à visage découvert par des fils de ceux de la classe dite privilégiée, ceux-là même qui fréquentaient les salons de la "borletière" en quête de prêts directs pour financer leur boutique au bas de la ville.

Lors des révoltes de peuples opprimés à la Guadeloupe, en Guyane, au Brésil, en Argentine, au Vénézuela et dans plusieurs pays d'Afrique, les pneus usagé qui trainent au coin des rues servent de barricades qu'ils font enflammer comme exprimer leurs rages . Au Guatemala, des voleurs d'enfants et des violeurs subissent très souvent le suplice du père Lebrun.

Quant à l'incendie de l'ancienne cathédrale, au lieu d'y voir un déferlement de bêtes sauvages le 7 Janvier 1991, pourquoi ne pas y voir les conséquences imprévisibles d'une situation à l'allure incertaine tel qu'un coup d'Etat makout ayant à sa tête un certain Roger Lafontant. C'était l'équivalence facheuse d'une telle audace après la journée du 16 décembre 1990. On s'attèle à déplorer les effets sans pourtant analyser les causes qui les produisent. C'est carrément paresseux et inintelligent. Lors des manifestations populaires visant à déchouquer la dictature trentenaire de Hosni Moubarak, des éléments, sans doute plus éduqués que les masses Haitiennes, n'ont-ils pas pillé une bonne partie du MUSEE DU CAIRE, contenant une partie des mémoires de l'humanité. Les soldats de l'armée américaine n'ont-ils pas pillé les musées de Bagdad et de Babylone? Ce ne sont pas ces données qui entreront dans les analyses de nos élites-censeurs. C'est comme quoi, les masses Haitiennes étaient les plus sauvages set les plus bêtes du monde? Je ne comprends pas.

Norluck Dorange
Journaliste
Source: Tout Haiti Forum

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