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Une soirée sanglante dans un night-club

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Qu'est-ce qui s'est réellement passé au Club 24, à Carrefour, dans la soirée du jeudi 11 juillet 2013 ? Les versions se complètent. Cet affrontement meurtrier, impliquant des agents de la police nationale, qui a coûté la vie à l'ex-colonel retraité de l'armée américaine, Michel Placide, pousse les autorités à vouloir réglementer les night-clubs de la commune. Reportage.

Tous les jeudis au Club 24, seul ou accompagné, le DJ Soundesign crée de l'animation. Des gens, pour la plupart des jeunes, viennent se détendre toute la nuit. Dans la soirée du jeudi 11 au vendredi 12 juillet, l'ex-colonel américain retraité Michel Placide, d'origine haïtienne, qui est un habitué de ce night-club, a eu une dispute tout à fait anodine à la sortie du club avec un policier en uniforme de l'unité spécialisée UDMO du nom de Jean-Baptiste Valentin.

Ce soir-là, Apollon Jean-Denis, un autre policier proche de l'ex-colonel, intervient pour calmer la situation et faire savoir à son collègue de la PNH que Michel Placide est un ancien militaire, donc quelqu'un de la famille. « Apollon, qui pensait que l'agent de l'UDMO s'était ravisé, a voulu s'en aller, et c'est à ce moment qu'il a reçu un projectile au ventre », explique le commissaire de police de la commune de Carrefour, Frantz Saint-Armand citant les déclarations du policier Apollon.

L'ex-colonel, qui est aussi armé, reçoit plusieurs projectiles et les deux policiers en sortent blessés. Jean Robert Eugène, un autre policier, et sa petite amie qui se trouvent encore à l'intérieur du club sont également touchés lors des échanges de tirs.

Selon les témoignages d'autres personnes recueillis par Le Nouvelliste, le colonel avait déjà eu la semaine d'avant une altercation avec l'agent de l'UDMO qui avait lancé du gaz lacrymogène à l'intérieur même du club. « Le policier avait beaucoup bu ce jour-là. Il ne voulait pas entendre raison. Il a giflé le colonel plusieurs fois avant de tirer sur lui. Le militaire en tombant avait réagi puisqu'il était aussi armé... », selon une personne ayant gardé l'anonymat

Michel Placide reçoit quatre projectiles alors que Jean-Baptiste Valentin en reçoit environ 7, raconte le commissaire de police, soulignant que les armes utilisées étaient toutes presque déchargées. Au total, cet affrontement conduit à la mort du colonel Placide et fait quatre blessés. « Ce qui est arrivé au Club 24 pourrait arriver dans n'importe quel club », souligne le responsable du commissariat de Carrefour.

Frantz Saint-Armand confirme que les clubs dans la commune sont fermés et une structure de sécurité est mise sur pied pour les évaluer. Sa mission : s'assurer que les night-clubs ne sont pas fréquentés par des mineurs; qu'ils ne sont pas fréquentés par des policiers en uniforme et qui ne sont pas de service; qu'ils disposent d'un lieu sécurisé pour déposer les armes avant d'entrer, entre autres.

L'officier de police reconnaît qu'en grande partie les gens armés qui fréquentent les clubs nocturnes sont des policiers. Il promet de prendre toutes les dispositions afin de couper court à cette pratique. « Je profite de l'occasion pour demander à mes frères policiers d'avoir un comportement exemplaire », lance-t-il.

Dimanche, 10h25 du soir. Par chance, il y a de l'électricité. La plupart des rues sont pleines de gens, des jeunes en majorité. Beaucoup d'activités. Les habitants de Carrefour ne dorment pas trop tôt. Dans certains quartiers, les marchands de friture et d'alcool vaquent à leurs activités jusqu'à très tard dans la nuit; les acheteurs aussi. Tout un mode de vie. La seule chose qui ne fonctionne pas véritablement, ce sont les night-clubs. Ils sont tous « fermés ».

« La semaine dernière au Club 24, des policiers ont tué un colonel de l'armée américaine, le commissaire du gouvernement a pris la décision de fermer tous les clubs jusqu'à nouvel ordre », rappelle un jeune homme debout avec sa copine, en train de boire de la bière, devant le club Blue dans la zone de Waney. Il déplore le fait que cette décision des autorités pénalise tout le monde, même ceux qui ne sont pas concernés par l'incident qui à coûté la vie au militaire américain.

11h45 p.m. Au Vanou club, les portes ne sont pas totalement fermées. Quelques jeunes, entre amis, discutent en buvant de la bière, tout en écoutant de la musique à travers un poste de radio. « La décision de fermer les clubs nous fait perdre de l'argent », se désole un serveur. Pour lui, les responsables font de la politique avec le dossier. Il ne veut pas en dire davantage.

Les gérants du club Nu Moving, situé dans la zone de Thor, semblent plus confiants quant à sa réouverture. Deux soirées sont déjà programmées pour le mois d'août. Le 11, la formation musicale Gabel et des DJ et le 18 du même mois, Klass et Kzino sont à l'affiche. « Le club recommencera à fonctionner le 5 août prochain », a rapporté un gardien du club qui croit parler à un client de la boîte.

Un peu plus loin, les portes du Club 24 sont totalement fermées. Aucun signe de vie. Rare pour un dimanche soir. Cependant, dans la même rue, il y a le club Obsession, un club rival, dont le propriétaire, Yves Day, est encore sur place. Il n'y va pas par quatre chemins pour dénoncer la décision des autorités. Selon lui, il est particulièrement visé. « On nous a exigé de rester fermés jusqu'à nouvel ordre, fulmine-t-il. J'ai des dettes, je ne sais pas ce que je vais dire à la banque... »

Pour l'homme d'affaires, les gens qui sont en face veulent tout simplement le porter à annuler son affiche programmée pour le 4 août mettant sur une même scène Harmonik et Zenglen, deux des formations musicales haïtiennes parmi les plus prisées du moment. M. Day est obligé de mettre au chômage tous ses employés, une vingtaine. Il estime qu'il ne devrait pas payer pour ce qui est arrivé au Club 24.

La mairie veut régulariser les night-clubs

Tous les clubs de la commune seront inspectés. Ceux qui répondent aux normes seront autorisés à fonctionner. L'agent exécutif intérimaire Jude Edouard est formel. Il a dénoncé le manque de structures qui caractérise tous les clubs de la commune. Le fonctionnement des night-clubs est une préoccupation pour la mairie, dit-il, confiant qu'un comité va commencer cette semaine à superviser les clubs pour voir s'ils répondent aux normes de sécurité.

« Aucun individu armé n'a le droit de fréquenter un club à Carrefour » martèle-t-il. Comme en grande partie ceux qui y vont armés sont des policiers, une fiche d'évaluation sera remise à chaque responsable de club qui aura l'obligation de la remplir avant de pouvoir recommencer à fonctionner, promet Jude Édouard, qui est lui aussi propriétaire de night-club et opérateur culturel dans la commune.

M. Edouard reconnaît qu'il existe aussi une rivalité entre Soundesign et DJ Bertin, entre autres. « Vous ne les verrez jamais jouer ensemble alors qu'ils sont logés à la même rue, Côte Plage 24 où il y a Club 24 et Obsession club... », dit-il en guise d'exemple.

En attendant la réouverture des boîtes de nuit, la vie nocturne est assurée à Carrefour par certains restaurants dansants encore ouverts qui accueillent des gens en quête d'évasion et de tête-à-tête.

Robenson Geffrard
Source: Le Nouvelliste

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