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Le tourisme peut-il relancer l’économie haïtienne ?

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Par Thomas Lalime --- Le tourisme a émergé au Burkina Faso comme un secteur potentiellement pro-croissance. Il a fait figure d'élément important de la stratégie nationale pour le développement de l'économie burkinabè. Ce qui a poussé l'économiste béninois Saint-Martin Morgan –avec qui j'ai échangé des courriels sur le sujet- à étudier en 2010 la pertinence de cette orientation de politique économique en analysant la relation entre le tourisme, la croissance économique et la réduction de la pauvreté au Burkina Faso.

L'impact du tourisme sur la réduction de la pauvreté demeure marginal 

croix-des-bouquet-conditions-inhumaine-richard-morse500Photo twitt par @RamHaiti - Unjust working conditions in Haiti

Ses résultats soutiennent l'hypothèse que l'investissement dans le secteur touristique est un investissement pro-croissance. Par contre, l'impact du tourisme sur la réduction de la pauvreté demeure marginal en raison des caractéristiques actuelles du secteur. Une pareille étude serait nécessaire en Haïti afin de quantifier l'impact de l'investissement dans le secteur touristique sur la croissance économique présente et future.

Comme Haïti, le Burkina Faso dispose de nombreux atouts touristiques naturels et culturels. Il s'est, par exemple, établi une réputation internationale en rapport avec l'organisation du festival de cinéma panafricain, du salon international de l'artisanat de Ouagadougou et dispose d'un patrimoine mondial de l'Unesco. Ces événements ainsi que les activités touristiques courantes constituent des opportunités d'affaires pour les petites et moyennes entreprises burkinabè et donnent lieu à des activités génératrices de revenus dans les collectivités visitées par les touristes.

L'essor du tourisme devrait donc offrir au Burkina une source non négligeable de recettes fiscales. Ces ressources additionnelles pourraient être mises à profit, au plan national, pour la réalisation d'infrastructures socio-économiques, a fait remarquer M. Morgan. Une étude datant de 2010 de la Banque mondiale sur le Burkina Faso indique que les recettes annuelles du tourisme international pourraient s'accroître de 100 millions de dollars US vers 2015, soit une hausse de 150 % par rapport à 2007, si les obstacles majeurs à l'émergence du secteur venaient à être levés.

Selon les données de l'étude, le nombre de touristes recensés auprès des centres d'accueil et d'hébergement au Burkina Faso s'est accru de 165 000 à 447 000 entre 2000 et 2008. Il s'agissait essentiellement de touristes internationaux : 74 % des visiteurs sur la période provenait pour une grande part de l'Europe.

Les visites s'inscrivent principalement dans le cadre des affaires (56 %) et dans une moindre mesure des vacances (20 %) et de la famille (11 %). Les statistiques reflètent une forte orientation du tourisme sur le segment « réunions, motivations, conférences et manifestations (RMCM) ». Ce qui justifie, par ailleurs, que la durée moyenne des séjours dans les hôtels s'établisse à trois jours environ. Plus près de nous, la République dominicaine a reçu 4.6 millions de touristes en 2012. Une façon de dire que nous sommes encore loin du but malgré tous les efforts consentis.

Les emplois directs générés par le secteur au Burkina, estimés par l'effectif du personnel des 293 centres d'accueil, hôtels, auberges, campings, pensions et autres, officiellement recensés en 2007, s'élèvent à 2 923, soit une moyenne nationale de 10 emplois par centre d'accueil. Cette moyenne nationale masque cependant de fortes disparités entre les hôtels de haut standing (50 employés en moyenne par hôtel classé 3 à 5 étoiles) et les hôtels non classés (6 employés en moyenne).

Pour M. Morgan, évaluer dans quelle mesure l'essor du secteur touristique est favorable à la croissance économique et contribue à la réduction de la pauvreté au Burkina Faso présente tout au moins trois principaux intérêts. D'une part, elle fournirait une indication sur la pertinence du caractère stratégique conféré au secteur touristique et le degré de priorité qu'il convient de lui accorder par souci d'efficacité budgétaire.

D'autre part, le ministère en charge du tourisme pourrait y trouver des indications sur l'efficacité de ses actions en termes de contribution à la croissance et de réduction de la pauvreté, donc à la relance économique. Enfin, l'évaluation du caractère « pro-croissance » du tourisme au Burkina contribuerait à approfondir les échanges avec les partenaires techniques et financiers, en vue de la mise en œuvre des initiatives les plus appropriées dans ce secteur.


Des études disponibles ont fait état d'une relation causale entre l'investissement dans le tourisme et la croissance économique. Par exemple, au niveau des pays, notamment ceux en développement, Hawkins et Mann (en 2007) ont observé que 44 (80 %) parmi les 56 États disposant à l'époque d'un cadre stratégique de lutte contre la pauvreté ont inscrit la promotion du tourisme au titre de stratégies pour assurer la croissance économique, générer des emplois et réduire la pauvreté; accordant pour certains le même niveau de priorité au tourisme qu'à l'agriculture et au secteur manufacturier.

Une relation à clarifier en Haïti

Le caractère pro-croissance de l'investissement dans le secteur touristique ne fait pas pourtant l'unanimité. Car, les versements de dividendes et les paiements de salaires et d'intérêts aux non résidents sont parfois perçus comme des fuites ou des effets de capture, généralement préjudiciables à l'économie locale des pays en développement. D'autres auteurs pensent également que sous certaines conditions, le boom touristique peut être défavorable à la production industrielle et conduire à la désindustrialisation, en ce sens qu'il s'accompagne de la fuite des facteurs de production du secteur manufacturier vers le secteur touristique. Qu'en est-il du contexte haïtien ? On aimerait bien savoir !

Pour mesurer la pauvreté, M. Morgan retient l'espérance de vie à la naissance et pour l'activité touristique, il considère le nombre d'arrivées de touristes internationaux. Selon ses résultats, une augmentation de 1% du nombre de touristes internationaux devrait se traduire, toutes choses égales par ailleurs, par un accroissement du PIB de 1,8 %. Et selon les statistiques du Conseil mondial pour le voyage et le tourisme, le nombre moyen de touristes internationaux entre 1990 et 2009 est estimé à 1.5 million par an au Burkina.

L'auteur inclut le taux de change dans son analyse puisque le tourisme est en quelque sorte un bien d'exportation pour lequel cette variable joue un rôle crucial, particulièrement comme facteur de compétitivité. Il conclut alors que la croissance économique, le tourisme, la pauvreté et le taux de change sont reliés à long terme au Burkina Faso. Cette relation est notamment caractérisée par un impact positif du tourisme sur la croissance économique et une causalité qui évolue du tourisme vers la croissance.
Le tourisme a cependant un impact positif très faible sur la pauvreté, en l'état actuel des caractéristiques du secteur au Burkina. Ce qui serait probablement lié à la concentration des activités touristiques dans la capitale économique au détriment des zones rurales où l'on recense le plus de pauvres. La durée moyenne de séjour des touristes internationaux -seulement trois jours- ne suffit pas à favoriser une contribution significative du tourisme à la lutte contre la pauvreté.

Le tourisme contribue faiblement à la réduction de la pauvreté au Burkina

De manière générale, conclut l'économiste Morgan, les résultats suggèrent que le tourisme est un secteur potentiellement pro-croissance et qui contribue faiblement à la réduction de la pauvreté au Burkina. En ce sens, il mériterait de retenir davantage l'attention des pouvoirs publics. Des actions, poursuit-il, devraient être initiées afin d'assurer une meilleure promotion du Burkina Faso sur le plan international. À cet effet, faut-il le rappeler, le pays présente l'avantage d'une stabilité politique.

L'économiste souligne certaines limites de son étude ayant trait notamment à la période couverte relativement restreinte (1977-2008). Il invite donc à interpréter les résultats avec prudence et à les considérer comme une investigation exploratoire qui gagnerait à être approfondie à mesure que les données exhaustives seraient disponibles sur le secteur touristique.
Ces résultats sont cependant sensibles au choix de modélisation et aux variables utilisées. Un choix alternatif a conduit M. Morgan à une absence de relation causale de long terme entre le tourisme et la croissance économique. Par exemple, certains auteurs utilisent les dépenses consacrées au tourisme alors que M. Morgan considère le nombre de touristes internationaux, les deux variables peuvent conduire à des résultats différents puisque des dépenses élevées dans le secteur touristique ne garantissent pas forcément une plus grande affluence de touristes. Cela est d'autant plus vrai dans un contexte d'instabilité politique où le climat sociopolitique peut tenir les touristes à l'écart malgré la disponibilité des infrastructures touristiques adéquate.
Le tourisme peut-il relancer l'économie nationale? La question demeure cruciale pour Haïti qui gagnerait à justifier le fondement théorique et empirique de ses supposés moteurs de croissance. À commencer par le tourisme où l'administration Martelly/Lamothe compte investir amplement sans véritablement renseigner sur les éventuelles retombées de ces investissements.

Quand on a peur de passer par Petit-Goâve pour se rendre dans les Nippes, dans le Sud et dans la Grand'Anse à cause des groupes armés, quand les manifestations et les actes de banditisme sont monnaie courante dans le Nord, au Centre-ville voire à Pétion-ville, les touristes ne tenteront pas l'aventure Haïti. Ainsi, les investissements dans le secteur touristique, tout comme dans les autres secteurs, ne pourront relancer l'économie nationale. Aujourd'hui, la meilleure locomotive de l'économie haïtienne demeure une paix politique durable qui passera par la réalisation d'élections libres, honnêtes et démocratiques.

Thomas Lalime
Economiste
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Source: Le Nouvelliste

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