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El Loco, De L’Équateur à Haïti : Le Cas d’Abdalá Bucaram
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- Catégorie : Opinions
- Publié le vendredi 20 septembre 2013 14:02
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Les lignes que vous allez lire relatent des faits, des méfaits et des forfaits qui ont eu lieu à mille lieux de Port-au-Prince. Toute ressemblance avec des évènements en cours ou à venir n’est que fortuite ou accidentelle. Toute similarité avec les dirigeants actuels d’Haïti ne serait que pure coïncidence. L’auteur décline toute responsabilité en cas de crise d’hilarité ou de sentiment de révolte que pourrait provoquer l’évocation de ces faits si familiers…
Le mercredi 5 février 1997, 2 millions de manifestants, toutes tendances confondues, gagnaient les rues de Quito pour réclamer le départ précipité du président Abdalá Bucaram qui se plaisait à se faire appeler « El Loco ». Le lendemain au soir, le Parlement équatorien, prenant au mot El Loco, procéda à la destitution du chef de l’Etat pour « incompétence mentale. » Par sa vulgarité hors du commun, ses manières excentriques, ses tirades contre la presse et les leaders de l’opposition, Bucaram s’était rapidement aliéné une large portion de l’opinion publique. Les parlementaires avaient vite fait de constater que le président élu l’année dernière n’avait pas les pieds sur terre et qu’il était en fait un lunatique. Sa politique économique catastrophique et la flambée des prix des services publics (hausse de 300%) avaient, en un tournemain, réduit sa popularité en une peau de chagrin. Horrifiée par les frasques, le népotisme et la corruption ouverte du nouveau régime, la classe politique équatorienne orchestra une campagne tous azimuts en vue de déloger le musicien/président qualifié « d’escroc » et de « clown ». Selon le sociologue Carlos de la Torre (auteur de Populist Seduction in Latin America), Bucaram fut présenté par ses adversaires comme l’incarnation « de la canaillerie déréglée, un danger non seulement pour la Démocratie mais pour la civilité tout court. » Après avoir dénoncé le « coup d’Etat parlementaire » et opposé une résistance de façade, Bucaram partit pour le Panama, emportant avec lui des millions de dollars et tout ce qu’il avait pu trouver de précieux et de portatif au palais présidentiel. Aujourd’hui encore, la saga de Bucaram continue. De son repaire panaméen, il ne désespère pas de reprendre le pouvoir pour parachever son œuvre de pillage, de gaspillage et de brigandage.
« Le pouvoir est une drogue qui rend fou quiconque y goûte » disait avec à -propos le président François Mitterrand. Dans le cas de Bucaram (qui arborait fièrement une moustache à la Adolf Hitler) les symptômes pathologiques se sont manifestés avec véhémence longtemps avant son avènement à la présidence. Installé au pouvoir le 10 août 1996, après une campagne électorale âprement disputée, El Loco allait vite révéler au grand public la magnitude de son ineptie. Quelques semaines après son intronisation, en lieu et place de programme de gouvernement, il publia un CD au titre révélateur : Un loco que ama (Un fou amoureux). CD qu’il se fit le devoir de distribuer à ses homologues (chefs d’Etat et de gouvernement) à l’occasion du Sommet Ibéro-Américain à Santiago du Chili. En octobre 1996, au cours d’un dîner en tête-à -tête au palais national, une copie de ce « chef-d’œuvre inconnu » fut gracieusement offerte à sa compatriote Lorena Bobbitt (célèbre aux Etats Unis pour avoir mutilé les parties génitales de son mari en 1993, et qui après son acquittement pour cause d’insanité devint la star d’un film pornographique). Liaison dangereuse, direz-vous ? Pas de problème pour le président. « Vous rencontrer en personne est pour moi un très grand honneur » murmura Bucaram à la belle et rebelle Bobbitt…
Imperméable au bon sens et à la décence, Abdalá Bucaram ne sut jamais se hisser à la hauteur de son nouveau statut de chef d’Etat. Au contraire, il continua allègrement à manifester une absence totale d’inhibition et de retenue. En présence d’un public captivé par l’énormité de ses pitreries, il crut que c’était une opportunité inespérée de se livrer davantage à des actes « obscènes » sur la scène politique.
Arrivé au pouvoir dans des circonstances très particulières, Bucaram plaça prestement les membres de sa famille à des postes stratégiques en vue de mettre le pays en coupe réglée. Son frère Adolfo Bucaram devint Ministre du Bien-Être Social, son beau-frère Ministre des Finances, tandis que son fils Jacobo Bucaram, à peine sorti de l’adolescence, était de facto directeur des douanes. Sa sœur Elsa, ex maire de Guayaquil, refugiée au Panama pour échapper à des accusations de corruption, fut immédiatement rapatriée pour savourer les délices du pouvoir. Sous le règne de ces « bandits légaux », on pardonnait toutes les fautes sauf les fautes d’orthographe.
Pour consolider sa position au sein des couches les plus faibles de la population, Bucaram s’était engagé dans une entreprise tapageuse et démagogique de microdistribution. Distribution par-ci par-là de lait « sinistré », portant la marque de fabrique du président : Abdalac ! Un lait qui s’est vite révélé impropre à la consommation humaine. Dans le même temps El Loco qui « connaît bien le goût de sa bouche » suçait goulûment les mamelles de la République…
Les programmes « sociaux » et « humanitaires » de la présidence se révélaient en fait un écran de fumée, une occasion en or de faire du vert à la va-vite. Parmi les scandales les plus éclatants, on retient l’affaire des fournitures scolaires au cours de laquelle 900.000 sacs à dos, ayant couté $80.00 par unité à l’Etat équatorien, disparurent comme par enchantement. Même la distribution des jouets à la fin de l’année 96 donna lieu à une vaste opération de corruption. Une bonne partie de l’argent recueilli au cours d’un téléthon de Noël, auquel participa El Loco, fut détournée. Sous prétexte de vouloir aider les plus vulnérables, les ripoux au pouvoir accumulaient millions après millions au vu et au su de tous.
Pourtant, la campagne électorale de Bucaram avait suscité un espoir délirant parmi beaucoup d’Equatoriens. Chanteur, danseur et fin démagogue, le candidat captivait les foules au rythme de son groupe musical Los Iracundos (Les Furieux, en français). Bête de scène, Bucaram entrait en transe à l’occasion des meetings politiques transformés en kermesses populaires. Il en arrivait même à verser en public de chaudes larmes de crocodile sur la misère du peuple. Comme les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient, El Loco se proposait de construire…200.000 maisons pour les familles nécessiteuses. Partisans et sympathisants allaient vite déchanter, lorsqu’ils se rendirent compte qu’avec Bucaram, tout était « à l’oral » et que la misère « avalait du terrain » à un rythme encore plus effréné.
Toutefois, en dehors de son côté caricatural, Bucaram n’était pas un total abruti. Il avait derrière lui un passé assez intéressant. En 1972, à l’âge de 20 ans, il représenta son pays aux jeux olympiques de Munich, en tant que champion national du 100 mètres haies. Il obtint même un diplôme d’avocat avant de se faire nommer, en 1983, commissaire de police. Ses vrais problèmes commencèrent lorsqu’il s’engagea dans la politique et devint maire de sa ville natale de Guayaquil en 1984. Dès lors, il ne sut jamais contrôler ses penchants naturels de racketteur et de kleptomane. Comme une ombre maléfique, l’appât du gain le suivait pas à pas dans le corridor de la tentation…
« Ne faut-il pas être un peu fou pour devenir un grand fauve politique ? Peut-on accéder au pouvoir sans un minimum de mégalomanie, de paranoïa et de manipulation, voire de mythomanie ? » Autant de questions pertinentes que se posait Pascal de Sutter dans son magnifique essai : Ces Fous Qui Nous Dirigent. Les Equatoriens ont été chanceux de trouver un garde-fou vigilant à travers le Parlement. Ainsi, Bucaram ne passa que six mois à la présidence. Comme le soulignait récemment l’économiste Leslie Péan, plusieurs chefs d’Etat latino-américains ont été ainsi chassés du pouvoir par le Parlement de leur pays pour malversations diverses. Toutefois, l’élimination d’El Loco ne fut pas chose facile. Pour obtenir le vote majoritaire, l’opposition dût « acheter » argent comptant les députés récalcitrants, à la solde de Bucaram…
Castro Desroches
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