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Ce qu’il faut prendre le temps d’expliquer au Sénateur Steven Benoit et à ses collègues

Frandley-JulienPar Frandley Julien* --- Le Sénateur Steven Benoit se trouve, depuis quelques jours, au centre d’une controverse dont il espère s’extirper en creusant davantage le trou dans lequel il s’est foutu, au lieu d’essayer de comprendre pourquoi tant de gens sont déçus de lui. Tout a commencé après que Benoit, qui répond comme un aimant au magnétisme d’un microphone, s’est félicité dans la presse du fait que la loi électorale a rendu plus difficile la participation de la diaspora dans la politique haïtienne. Ce mécanisme qui fait la fierté du sénateur, exige que ceux qui briguent un poste électif aient, pendant le temps de résidence requis par la constitution, payé leurs impôts à l’heure, et non en gros et rétroactivement, comme l’ont fait Lamothe et Conille. Et l’intrépide sénateur, qui ne semble pas avoir compris les conséquences réelles de ses actes au parlement, pense, par cette loi, avoir rendu service au pays. LOL.

Le problème ici va au-delà de Benoit. Le hic est que nous avons confié l’importante tâche de légiférer pour nous à des gens qui n’ont pas lu les Anciens, et qui ne comprennent rien à la philosophie politique. Ces gens-là se sont mis à emprunter paresseusement des lois de l’extérieur sans comprendre les motivations philosophiques derrière ces lois, et sans consentir aucun effort pour les adapter aux besoins d’Haïti. En plus, il n’est un secret pour personne que ceux qui ont vécu dans la diaspora, une fois rentrés au pays, sont parmi les plus farouches promoteurs de l’exclusion des Haïtiens de l’extérieur de la vie politique nationale. Ils ont inauguré cette pratique en 1986, et n’en ont pas démordu depuis. Ces gens pensent que tout le monde essaie d’accéder au pouvoir pour se servir, et non pour servir, et essaient de fermer le p’tit cercle de copains autant que possible.

Ce qu’il faut expliquer au sénateur Benoit, c’est que rien n’empêche aux membres de la diaspora qui ont la folie du pouvoir de se rendre au pays annuellement et de payer régulièrement des impôts qu’ils ne doivent pas à Haïti, jusqu’à ce qu’arrive le moment de se présenter aux élections. Ce que Benoit et ses acolytes ne comprennent pas, c’est que cette disposition légale qu’ils ont adoptée, en plus d’être inefficace parce que facilement contournable, envoie un mauvais signal à la diaspora qui se sent de plus en plus exclue d’accès aux sphères de décision.

Ceux qui veulent vraiment servir Haïti ne sont pas obligés de le faire en occupant un poste politique. Cependant, au constat de cette politique systématique à double-verrouillage visant à l’exclusion de la diaspora de la chose publique, beaucoup de compatriotes de l’extérieur qui auraient pu prêter leurs services au pays dans le secteur privé ou l’humanitaire, sont tellement dégoutés par le sentiment d’exclusion qui les tenaille, qu’ils tendent à tout laisse tomber. La diaspora a le sentiment d’être persona non grata dans son propre pays.

Quelqu’un doit prendre le temps d’expliquer au Sénateur Benoit et à ses collègues, avec les mots les plus simples possible, que 80% de nos compatriotes détenant un diplôme universitaire vivent à l’étranger, et qu’à l’heure actuelle, Haïti a besoin de la participation active de tous ses enfants. Cela ne veut pas dire que les diplômés de la diaspora sont mieux formés que ceux de l’intérieur. Ce que je veux dire c’est que nous avons quatre fois plus de compétences à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays, et que vouloir fonctionner seulement avec les 20% de l’intérieur est une démarche digne de notre proverbial Bouki national.

L’exigence de résidence que ceux qui briguent un poste électif doivent satisfaire dans la majorité des pays, répond à la nécessité qu’un élu connaisse assez l’histoire et la réalité de l’espace qu’il aspire à diriger pour pouvoir remplir la fonction avec compétence. Par exemple, aux Etats-Unis, un candidat à la présidence doit avoir vécu dans le pays pendant 14 ans. Bien que les tribunaux n’aient jamais eu à interpréter cette exigence, certains des plus éminents experts en droit constitutionnel arguent que ces 14 années de résidence n’ont pas à être consécutives, et que si l’individu a vécu dans le pays pendant 14 ans à n’importe quel moment, même par intermittence, il doit en connaitre l’histoire et la réalité assez pour pouvoir le diriger avec compétence. Mais en Haïti, on a toujours interprété l’exigence de résidence pour obliger les candidats à avoir vécu dans le pays pendant les cinq années précédant leur dépôt de candidature. Donc, si quelqu’un qui a passé 50 ans à vivre dans le pays passe deux ans à poursuivre des études à l’étranger 3 ans avant les élections, cet individu est inéligible aux yeux de ces puristes de l’exclusion. Demandez-leur une bonne raison pour justifier cette réalité qu’ils ont créée, ils ne l’ont pas.

Considérons la question du cumul de nationalités, pendant qu’on y est. Aujourd’hui, un Haïtien qui a acquis la nationalité américaine ne peut être président, sénateur ou député en Haïti. La semaine dernière, un ami qui a acquis la nationalité américaine m’a confié son intention de se présenter au sénat pour l’Artibonite. Je l’en ai dissuadé, parce que ce serait une violation de la constitution. La loi est ridicule, contreproductive et ringarde, mais c’est la loi. Quelqu’un qui veut servir Haïti ne peut pas inaugurer son service par une violation flagrante de la constitution. Cependant, si nous avions plus de bon sens au parlement, il y a longtemps que nous nous serions débarrassés de cette entrave au développement du pays. Acquérir un passeport étranger pour avoir de meilleures opportunités dans un pays d’accueil n’enlève rien à l’Haïtianité d’un individu. La preuve, nous avons tout à coup oublié que Dany Laferrière était Canadien. Nous sommes tous fiers de lui. Mais s’il s’avisait à vouloir devenir député de son Port-au-Prince natal, halte-là Dany ! Tu n’es pas assez Haïtien pour occuper ce poste. Ridicule. Si le Canada traitait ses citoyens comme nous traitons les nôtres, Michaëlle Jean n’y serait jamais devenue gouverneure.

En somme, il faut que les Haïtiens de l’intérieur comme de l’extérieur commencent à élever la voix contre l’exclusion systématique de la diaspora de la gestion du pays. Haïti a tout à gagner d’une participation massive de la diaspora dans tous les domaines. On devrait être en train de desserrer la vis empêchant cette participation, non la serrer davantage. Et il faut que quelqu’un prenne le temps de le faire comprendre à Benoit et à ses collègues.

Frandley Julien
Doctorant en Droit.
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