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Pour un Renouveau Démocratique !!!
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- Publié le vendredi 31 août 2018 02:27
New York, 22 Avril 2018 -- Déjà près de cinquante jours se sont écoulés depuis le peuple haïtien s'est mis debout, pas seulement à Port-au-Prince, mais aussi ailleurs dans le pays pour exprimer son ras-le-bol face au mépris de la classe gouvernante pour sa misère et sa pauvreté. En dépit des élucubrations des consuls de la république sur la nécessité d’un changement, le pays continue sa course vers l'abîme.
Le 7 juillet marque une crise de la démocratie haïtienne
Il est vrai que les déclarations d’un Gary Bodeau qui assimile le pays à un gâteau trônant sur ses tables festives ou les images d’un président qui se pavane en maillot de bain, au plus fort de la crise, sur les côtes verdoyantes de l'Ile-à -vache en disent long sur les priorités des « Kaletèt ». Mais, ce dont il s’agit fondamentalement, c’est une crise de la démocratie haïtienne. En effet, les événements des 6 et 7 Juillet 2018 présentent d’étranges similitudes avec ceux de mai 2008 : Grogne contre la cherté de la vie, irruption spectaculaire des masses sur la scène politique, crise du pouvoir en place. Tant de paramètres communs renvoient, donc, à des causes structurelles ; les actuels tenants du pouvoir ne font qu’en accentuer l'acuité.
Les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir après 1986 ont brillamment échoué à mener des réformes structurelles en faveur d’une meilleure égalité sociale. Aujourd’hui, le peuple meurt de faim à cause de la république. L’inégalité est la norme. Elle est partout. Forte dans les revenus, elle s’étend à toutes les dimensions de la structure sociale que sont l’accès à la propriété de la terre, la possibilité d’accès au crédit, les indicateurs vitaux les plus essentiels de la santé, de la mortalité infantile, de la mortalité maternelle, de l’espérance de vie et de l’accès à une éducation de qualité. Il n’y a pas trop longtemps, le philosophe Claude Lagadec se demandait : « Si l'inégalité est la norme, que reste-t-il de la morale et de la liberté humaine ?1 » ( Lagadec, 1983). Son questionnement nous permet de saisir les relations conflictuelles auxquelles donnent lieu la permanence des inégalités sociales et la consolidation de la démocratie en Haïti. La récente crise cristallise et augmente cette tension qui habite le processus démocratique haïtien.
En outre, le modèle néolibéral qui a servi de cadre macroéconomique à la transition démocratique en Haïti a amené à sa quintessence l’art d’administrer la perte et le discrédit de la souveraineté nationale. Des technocrates ex-cathedra, dépossédant les citoyens de la maîtrise de l'avenir, décident de tout en leur nom. Cette démocratie « sans demos2 » aboutit à une érosion de la souveraineté où l’ajustement aux principes du non-politique, remplace la recherche du progrès collectif. Le résultat est patent : les classes dirigeantes haïtiennes concentrent la richesse et le pouvoir tandis que le peuple croupit dans la misère la plus abjecte et la plus totale.
Les conducteurs tournent en rond
Néanmoins, de tels paradoxes nous permettent d’appréhender l’essence des jeux d’alliance et d’opposition entre acteurs de la classe politique haïtienne. Le rapprochement des logiques stratégiques qui la structurent se fait toujours au grand dam des aspirations citoyennes majoritaires à la justice, à la solidarité et à la modernité. En effet, du Groupe 184, en passant par la Convergence Démocratique pour arriver au MOPOD (Mouvement Patriotique de l'Opposition Démocratique), la saga a très peu changé, sinon l’ancien président Aristide est devenu un allié de l’acharnement à abattre les « Tètkale3»
Quelqu’un a dit que rien ne renforce l’amitié qu’un ennemi commun. Cette règle cristallise les jeux de pouvoirs ente acteurs de la classe politique haïtienne dont l’homogénéité et l’inertie reproduisent le statu quo. Dans ce contexte, les acteurs politiques haïtiens peuvent rivaliser les « derviches tourneurs de Damas4 », très réputés pour l’étrangeté de leurs exercices. Exégètes subtils du duvaliérisme dont ils étaient pourtant les pourfendeurs, ils n’ont même pas entretenu ou cultivé une mémoire collective sur ce passé dictatorial, laquelle pourrait fortifier la citoyenneté et protéger la liberté. Conséquemment, une grossière et publique banalisation du totalitarisme duvaliérien est actuellement en cours dans plusieurs segments de notre société5.
Le devoir d’être inventif
Tant sur le plan idéel que sur le plan matériel, les rationalités de l’acteur politique haïtien sont complètement en déphasage avec les exigences de la modernité et d’un vivre ensemble conforme aux valeurs fondatrices de notre république. Ces rationalités, ajoutées à un système d’alliance et d’opposition entre acteurs homogènes, ne produisent que des jeux politiques à somme nulle6 au regard de l'amélioration du bien-être général. Donc, la stagnation économique et la stagnation politique vont de pair. Le pays s’enfonce dans la spirale vicieuse du statu quo. Pour y remédier, il nous faut des formes politiques nouvelles, capables d’apporter des réponses créatives aux besoins sociaux collectifs. Il faut œuvrer à un renouveau démocratique qui passe par des débats honnêtes et des réformes structurelles. La crise qui frappe actuellement le pays révèle l’inaptitude totale du pouvoir, des partis politiques et du parlement (Sénateurs et Députés) à rendre le pays gouvernable, voire à proposer des politiques susceptibles de lutter efficacement contre les inégalités. La vérité est que tout (vision, imagination et motivation) leur manque pour être de véritables guides. Leur drame, c’est qu’ils ne savent pas tirer leur révérence. Le sauvetage national nous commande, donc, de les empêcher de tourner en rond et de leur monter la sortie avec des idées et des perspectives nouvelles. Mettons-nous au travail !!!
Alain Zéphyr.
Sociologue
New York, 22 Avril 2018
Notes
1 Lagadec, C. (1983). Dominances. Essai de sociologie sur l'inégalité et la tromperie. Longueuil: Préambule
2 Pour une étude détaillée de ce concept, Voir Colliot-Thélène, C. (2011). La Démocratie sans « Demos ». Paris : PUF, « Pratiques théoriques ».
3 La liste des organisations et personnalités communes aux trois regroupements susmentionnés est trop longue pour en faire ici le récit exhaustif
4 Confrérie religieuse musulmane célèbre par leur pratique de la danse sacrée circulaire fondée par le poète et philosophe mystique musulman du 13e siècle Mevlana Jalaluddin Rumi. L'Unesco déclara l’année 2007 « année de Mevlana » en l'honneur de ce poète.
5 Voir Zéphyr, A. (2018, 1 au 7 Aout). Des Trouble- Fêtes à un Rassemblement de tonton-macoutes à New York. Haïti Liberté, 12(4).
6 Dans un jeu à somme nulle, les gains des uns sont les pertes des autres. Voir. Neumann, J.V., & Morgenstern, O. (2000). The theory of games and ecnomic behavior. Princeton, N.J: Princeton University Press